Le Moustique Par Gagnon Alia avait un charme trouble. Des yeux de ciel qui exprimaient a eux seuls toute l’ame et esprit de cette jeune femme souple et légére. Le bleu de son regard était profond comme un lagon quand elle croisait le mien. || devenait gris et tourmenté quand, intimidé, mon propre regard la fuyait. J’aimais la voir marcher quand, par hasard et une fois de plus, je la croisais dans la rue. Ses pieds fins, A peine chaussés, semblaient ne pas toucher le ciment du trottoir. Elle était si aérienne qu'elle paraissait flotter... Ce fut un choc ! Il y avait peut-étre autre chose qui nous rapprochait. Peut-étre avions-nous des secrets communs. Ce fut comme une révélation. D’abord trop timoré pour répondre directement a ses approches discrétes, je sentis soudain mon courage décuplé par une attirance véritable et un espoir un peu fou. Je revins sur mes pas et la rattrapai. — Bonjour mademoiselle, excusez-moi, je crois vous avoir déja vue. Ce que |’on peut paraitre idiot dans ces circonstances. J’aurais pu au moins tenter une approche un peu plus originale. Je m’attendais a étre rabroué quand, avec un sourire extraordinaire, elle a levé ses yeux sur moi. J’étais submergé de bonheur. Transporté, je ne me maitrisais plus. Je lui saisis la main qu’elle m’abandonna et a cet instant, je n’ai plus pensé qu’a une seule chose : m’envoler avec elle. Déja, je sentais mes pieds se détacher du sol. Mon coeur, léger, sautait dans ma poitrine. J’avais la téte dans les étoiles. Mais elle prit peur. Elle se détacha de moi. Elle s’éloigna précipitamment, ses yeux azur, ténébreux, m’enveloppaient douloureusement et Volume 3 - 12° édition yd HOMME FLOTTAIT Décembre 2000 semblaient dire : ’Non, pas ici, pas devant tout le monde”. Elle se noya dans la foule. Mes pieds, soudain, étaient de plomb. Qu’avait-elle voulu dire ? En fait, elle n’avait rien dit. Mais qu’avais-je ressenti ? Voulait-elle me rappeler que nous n’étions pas comme les autres. Mais, |’était-elle seulement ? Tout cela nétait-il pas le seul fruit de mon imagination ? Je ne savais plus que penser. Une chose était certaine cependant, je l’aimais et ne lui étais pas indifférent. Cela suffisait pour que la vie soit merveilleuse. Je la reverrais, j'en étais certains. A partir de cet instant, je me suis occupé moi-méme a forcer le destin. Je sortais plus souvent. Je fréquentais le plus assiddment possible tous les endroits ou javais croisé Alia. Comment savais-je son prénom? Elle ne m‘avait jamais parlé. Ne me le demandez pas. Je n’en sais rien. C’était ainsi. Plus rien ne me semblait étrange. L’amour aidant, lextraordinaire m/’était devenu banal. Je baignais dans l’euphorie la plus complete. Je ne me présentais plus au travail. Je ne pensais méme plus a flotter seul. Je _ planais mentalement. Cette nuit la, je rentrais tard chez moi, fatigué d’avoir parcouru tant d’endroits, décu de avoir manquée tant de fois. Elle m’attendait sous un réverbére, au coin de ma rue. Je n’ai rien dit. Je l’ai prise par la main. Tout doucement, sans un geste, sans un effort, les yeux dans les yeux, nous nous sommes envolés dans le noir. Suite page 14 Page 9