Le Soleil de Colombie, jeudi 31 mars 1988 - 19 Par Jean-Claude Boyer Bangalore (sud de |'Inde), le Vendredi saint 5 avril 1985. Jarrive a l’église Saint-Patrick au moment ow !’officiant commence Le chemin de la croix d’Henri Ghéon. La nef déborde jusque sur le parvis. Je m’entasse avec un groupe de fidéles dans une entrée latérale. Les visages sont recueillis malgré la rumeur de la ville et les pleurs des nourrissons. A la station «Jésus est mis en croix», deux chanteurs a la voix chaude et vibrante interprétent «Were you there?» («Etiez-vous ]a?»), un negro-spiritual que le frére Séverin, dans mon temps de collége, nous avait appris a chanter 4 quatre voix et avec d'infinies nuances dramatiques. Je frissonne, me rappelant la Via Dolorosa, dans l’enceinte du vieux Jérusalem, que jai parcourue plus d’une fois il y a a peine trois mois. La cérémonie terminée, je me rends a la gare, a4 5 km, en rickshaw. J’observe, comme d’habitude, des scénes plus exotiques les unes que les autres, en particulier cette douzaine de poules épouvantées pendues au guidon d’une bicyclette qui zigzague a travers voitures, charrettes, piétons et vaches sacrées. A la gare, les «indienneries» se succédent, comme de raison. Je cache mal mon impatience. «Sz vous étes pressé, revenez demain!» me dit-on ingénument. Je rage de ne pas pouvoir acheter ma passe de train a 45$ parce qu’on ne peut pas me remettre en roupies la monnaie sur mon chéque de 50$: on ne connait pas le taux de change, les banques étant fermées le Vendredi saint. A la sortie de l’édifice, je m/’arréte, fasciné encore une fois, devant un «entailleur» de noix de coco. En un tournemain, il a viré la noix dix fois sur elle-méme et fait voler des éclats 4 grands coups de couteau. I] en résulte une ouverture d’ot. gicle une eau sucrée désaltérante. Je prends une photo et retourne 4 la résidence de mes amis mission- naires. Vers la fin de l’aprés-midi, dans le bus bondé qui me raméne 4 Abhayadhama (centre pour jeunes indigents, 4 20 km de Bangalore, ou je viens de passer deux semaines 4 _ enseigner Vanglais et le chant), je suis coincé, debout, devant un homme de Cro-Magnon. Lors- que celui-ci réussit 4 quitter le bus, je constate qu'il était assis depuis une demi-heure dans le vide, retenu je ne sais comment par une structure de fer sans siége. La fenétre sans vitre derriére cette «banquette» ainsi qu'une longue vis menacante, laissée 14, dans la paroi du bus, ajoutent au luxe achevé du véhicule. Je ne retiendrai des 24 heures suivantes que le marché que nous ferons, Jean-Paul, le directeur- fondateur du centre, et moi, en vue du réveillon de Paques. Les marchands, surtout des Indien- nes accroupies, gardent kpeil vigilant. Fruits et légumes sont étalés ou mis en tas par terre sur des toiles de plastique qui, avec la camionnette du frére, enlévent a la scéne un peu de son aspect XIXe siécle. J’apercois un fruit _ Voyages Récit d’un tour du monde Paques a Abhayadhama qui m’est inconnu. On me le fait goater: «Wow! Delicious!» C’est une goyave. Soudain, un garconnet lance un poids de balance sur le flanc d’une vache qui ose mordre dans un tas de haricots: l’entourage s'indigne contre... l’enfant irrévérencieux. Sur le chemin du retour, nous nous arrétons chez un riche vigneron a qui l’on commande 50 kilos de raisin bleu, de quoi se «bourrer la fraise». Ce soir-la, vers 10h30, nous nous rendons tous, le personnel et les quelque 70 enfants et adolescents, a l’église voisine. Nous suivons un petit sentier éclairé par des lampes de poche pour éviter de mettre le pied sur un serpent. Tout l’intérieur de léglise est décoré, comme si cétait Noél, avec de longues bandes étroites de papier rouge entrecroisées et une grande quantité de lumiéres multicolo- res. On a tout de méme affiché, derriére |’autel, un grand poster représentant la résurrection du Christ. Le nuit est chaude, humide. Deux chiens efflanqués circulent librement jusqu’a ce que l'un d’eux «s’écrase» au beau milieu de Vallée centrale. L’officiant doit le contourner aprés avoir entonné, cierge pascal en main, le deuxiéme «Christ our Light». Les deux heures et demie que durera la cérémonie seront imprégnées d'une piété édifiante; plusieurs centaines de fidéles prient et chantent comme une armée de croisés. Les plus jeunes eux- mémes restent éveillés et peu agités, méme s’ils doivent subir, en plein coeur de la nuit, de longues lectures «pour adultes», soit en anglais, soit en tamoul, et une homélie dans chacune de ces langues. Pour ma part, je suis le déroulement de la cérémonie dans un fascicule avec deux garcons qui ne sont pas sans faire de jaloux; et je trouve charmant ce va-et-vient d’oiseaux d’une fenétre a l’autre, et jusqu’au nid haut perché au-dessus de I’autel. Cette messe de minuit célébre Paques, peut-on dire, avec un air de Noél. A la sortie, les «Happy Easter, Brother» fusent de partout. Les benjamins «me grimpent dessus» comme des singes 4 un arbre. D’autres marchent au pas en _huit scandant «The Ants Go Mar- ching» («Les fourmis marchent une par une») que je leur ai montré. Les nombreux hourras de cette chanson retentissent, plus fervents que des alléluias. De retour au centre, nous, les adultes, remplissons six douzaines d’assiettes: une bana- ne, une grappe de raisin bleu, deux cuillerées d’arachides mé- langées, quelques bonbons et un morceau de gateau. (Ce n’est pas sans me rappeler les assiettes que préparait ma mére, le matin de Noél, avant le réveil de sa marmaille) . Le tout est ingurgité «sur un temps rare». C’est bientét le grand silence nocturne, sauf dans la salle 4 manger ow le personnel arrose de brandy, et copieusement, ce début de réjouissances pascales. Je me fais éperonner plus que les autres jusqu’a ce que je «lache mon fou». Aprés le repas de midi, véritable banquet dans ce pays, je fais déja mes adieux 4a Abhayadhama. Comment ne pas avoir la gorge serrée en quittant ce petit univers ot chaque jeune n’a que de l’amour 4 offrir en partage, remettant au centuple le moindre geste d’amitié et de don de soi. Sur la route qui me raméne a Bangalore, a la résidence de mes amis missionnaires, le frére Fernand, le conducteur de la jeep, me montre du doigt ce que je n’ai jamais pu croire: des pratiquantes du Jainisme ont la bouche voilée de peur d’avaler des insectes. Le frére scrute les abords pour tenter de dénicher d’autres Jaina qui seraient en train de marcher en balayant tout sur leur passage de peur d’en écraser. A la résidence des missionnai- res, on me présente un couple bengali de Calcutta qui vient tout juste d’arriver. En apprenant que je visiterai bientét la plus grande ville de l’Inde, ils s*empressent de m/offrir ’hébergement. Tout a coup, un éclat de voix, puis un signe qui nous fait tous lever la téte: deux guenons sont assises dos a dos a l’extrémité d’un pignon, chacune étreignant un rejeton. Une végétation luxurian- te les préserve des ardeurs du soleil. Le temps de saisir mon appareil-photo et les méres possessives sont déja disparues. Creat été digne du «National Geographic». Mon train pour Delhi doit partir 4 16h15. Le Supérieur des fréres de Sainte-Croix en Inde et un membre du __ personnel d’Abhayadhama _ m’accompa- gnent 4 la gare. Poignées de mains, remerciements chaleu- reux, accolades, adieux. Un dernier signe de la main a travers les barreaux de ma fenétre, un dernier mot d’amitié qui se perd dans les grincements du départ. Jai tét fait de sortir mon baladeur (walkman) et mes deux paires d’écouteurs, et de partager quelques extraits de ma musique classique préférée avec un Indien et son fils, puis avec un soldat sikh. Celui-ci a du mal 4 glisser les écouteurs sous son turban qu'il n’ose pas relever au-dessus des oreilles. Son embarras est on ne peut plus dréle. Jen oublie les petits déchirements du départ. Quelques heures plus tard, étendu sur ma couchette, je revis en pensée, en écoutant «La pastorale» de Beethoven, mes deux semaines de _ bénévolat auprés d’une jeunesse indienne particuliérement démunie. Cette expérience humaine s’avérera la plus gratifiante de mon tour du monde. a [ JACQUES LEVY Wa Marlin Wy Travel «Avec plus de 134 bureaux 4 travers le Canada pour mieux vous servin> VENTE CLIENTELE EXPERT EN VACANCES 1654 Robson Street Vancouver. B.C. Canada V6G 1C7 Phone: (604) 689-3333 ee L’Alliance Francaise de Vancouver vous souhaite atous detrés joyeuses Paques. 6161, rue Cambie Vancouver, C.-B. Tél: 327-0201 4 es Les députés N.P.D. vous souhaitent de joyeuses Paques 749 Broadway E., Vancouver, C.B. V5T 1X 874-8602 ) “iin