Le Moustique Volume 3 - 12 édition Décembre 2000 Ce matin, les choses semblent aller mieux. II pleut encore, mais nous avons atteint ce stade du désespoir, ot nous partageons le courage de ceux qui pensent n’avoir plus rien a perdre. Le corps engourdi par toutes les souffrances, |’esprit annihilé par les plus profonds tourments, ne peuvent plus comptabiliser les peines supplémentaires. C’est presque a l'état de zombies désincarnés que nous entamons ce deuxiéme jour de randonnée. Est-ce ce nouvel état qui nous fait paraitre le sentier plus confortable, en tout cas moins pénible ? ll semble de fait que le chemin est moins escarpé ; plus doux et plus épais le tapis daiguilles qui se montre plus persistant. La pluie, moins battante, ne détrempe plus que le haut du corps. Aprés_ avoir parcouru quelques centaines de metres a un rythme qu’on n’osait plus imaginer, nous débouchons sur un sous-bois nivelé et dégagé qui parait avoir été l’emplacement dun ancien camping. Nous sommes au point le plus élevé du parcours. C’est presque sec, c’est confortable, c’est plat ! Nous aurions, hier soir, résisté un peu plus au découragement que la Page 10 nuit, passée en cet endroit, aurait été des plus plaisantes. Mais plut6t que la désolation, c’est la fierté que je ressens : nous avons survécu au pire ; a présent, le sentier de la Céte Ouest n’a qu’a se bien tenir. Nous le foulerons au pied a la maniére des grands conquérants ; ceux-la, choisis parmi les plus intrépides. Ma fille ne partage pas totalement mon nouvel enthousiasme et aurait plutdt tendance a le mettre sur le compte du délire, si fréquent avant les écroulements définitifs. Je compose donc et, au lieu de parcourir aujourd’hui une douzaine de kilométres, afin de relever notre moyenne, je suggére plut6t de coucher ce soir sur la plage que nous aurions dd atteindre hier soir. Nous perdrions un jour, sans doute, mais le mettrions sur le compte de lexpérience a acquérir. Et quelle expérience ! Vous pouvez m’en croire, j’en suis tout déglingué. Cette journée sera donc semblable a celle d’hier, avec ses passages ou la boue et les racines glissantes se font une concurrence féroce, ou apparaissent les premiéres volées braniantes d’échelles pourrissantes, les corvées d’eau au fond de gorges périlleuses et glissantes, une pluie toujours présente, mais une journée tout de méme un peu moins pénible, un peu plus euphorique. Certains randonneurs professionnels prennent méme la peine de s’arréter un court instant pour s’adresser a nous, alors qu’hier, ils nous ignoraient totalement. Commencerions-nous enfin a ressembler a ce a quoi nous tentions de nous faire passer ? Ou, simplement, ne nous dépassent-ils plus aussi rapidement et ont-ils le temps de nous remarquer ? Non seulement nous survivrons mais, mieux encore, le métier rentrant, nous commencons a nous identifier a de vrais sportifs. Et cest ainsi que, sans méme nous en étre rendu compte, en début d’aprés-midi, nous nous retrouvons en haut des échelles qui plongent presque verticalement sur la plage. Prés de cent cinquante métres de dénivelée que nous dégringolons avec professionnalisme et méme une certaine prestance. La recompense pour cet exploit est merveilleuse. Le ciel est encore couvert, mais il a cessé de pleuvoir. La plage de sable fin et clair a des allures de vacances aux Caraibes. Elle est parsemée de troncs d’arbre échoués et de gros blocs de roches qui font de confortables siéges. Dans les abris- sous-roche, tapissés de tendres fougéres en gerbes, on trouve