Le Moustique Chronique Vietorienne 4 L’archéologie, un truc de filles ! Vous avez une grande fille. Elle est en Age de sortir. Toute charmante qu'elle ait été a tout instant, d’impossible qu’elle était, il y a peu, elle est devenue intenable, a présent. Que faire, qu’en faire ? La marier était une solution. Elle nen est plus une. Non seulement, les jeunes filles d’a présent refusent d’épouser celui qu’on leur a choisi, mais pire encore, en plus de ce qu’elles le choisissent elles-mémes, elles ne se décident pas vite et méme, pour certaines, pas du tout. Je n’étais pas loin de désespérer quand, par le plus curieux des hasards, la solution m’est apparue. Elle était simple, mais, comme dirait l'autre, il fallait y penser. Il suffisait de l’intéresser a l'archéologie. Le plus souvent, personne ne sait ce qu’est l’archéologie. Mais de toute maniére, ce n’est pas important. Au contraire, il vaut mieux ne pas savoir. Je m’en rends bien compte a présent. Quelqu’un a proposé a ma fille d’en faire. Elle ne savait pas ce que c’était. Elle a dit oui, car il ne faut jamais reconnaitre qu’on ne sait pas. Depuis, je n’ai plus de problémes. Cela fait plus de sept semaines que je ne lai vue. La maison est d’un calme apaisant. Je reprends lentement gott a la vie et tout cela m’a cotité bien moins qu’un mariage. Tout le temps de son absence, elle la passé sur une ile presque déserte au large de Nanaimo. A faire quoi, je vous le donne en mille : a remuer la terre ? C’est une chose qu’elle n’aurait jamais faite a la maison. Volume5 - %édition Le tuteur qui l’a prise en charge doit étre un homme remarquable, car il est parvenu 4 la faire dormir dehors, sous la tente. Tous les matins, il a la force et l'énergie de la réveiller a cing heures et a lui faire préparer son petit déjeuner elleméme. Je n’aurais jamais cru une telle chose possible. Un infect café tiede a peine bu, un ceuf triste et trop mollet pour étre honnéte a peine avalé, ce tortionnaire la charge de matériel comme un baudet et lui fait parcourir quatre kilometres a pied sans lui laisser le temps de proférer une seule plainte. La, non content de toute cette cruauté, il lui fait creuser la terre et, tenez-vous bien, cela avec la seule aide d’une truelle. Le plus incroyable est que l’autorité de ce maitre, qui semble sans limite, ne se cantonne pas a subjuguer ma fille seule ; de fait, dans ce camp de travail, ce sont dix- huit jeunes filles et jeunes femmes qu’il maintient sous le joug. Elles sont la toutes, accroupies dans leur trou dinfamie, a gratter le sol de leurs ongles qui s’usent, se noircissent au bout de mains sales et de plus en plus calleuses. Je l'avoue trés sincérement, jamais je ne serais parvenu a forcer ma fille a semblable tache. II doit y avoir un truc. On me Ia expliqué, mais je n’ai pas trop bien compris. Il semble qu’a lendroit ot ils creusent, trois cultures se superposent. Il y a eu des Indiens, tout d’abord, qui ont beaucoup péché, puis des mineurs anglais qui ont exploité beaucoup de charbon, enfin, des Japonais 4 avoir mis beaucoup de poisson en boite. Pendant la derniére guerre, il y a eu aussi beaucoup de Canadiens fachés qui ont tout brilé et tout retourné a la niveleuse. Le professeur, savant et chercheur, celui qui maltraite les filles, essaye de ISSN 1496-8304 Septembre 2002 Jack Blake prouver que les Japonais avaient des échanges commerciaux importants avec le monde asiatique. Qu’il n’y avait pas d’exploitation éhontée des ressources canadiennes, mais un échange profitable pour chacun. Aussi cherche-t-il des fragments de poterie japonaise — enfin, il force les filles a chercher ces débris — cela afin de prouver sa thése. Je ne saisis pas le raisonnement : si, par exemple, ma maison venait a briler et qu’on en fouille les décombres, on découvrirait de nombreux fragments de porcelaine portugaise correspondant au service de table que jai hérite de ma mére. Un service qu'elle s'est offerte a l'@poque ou elle vivait au Timor. Je le jure, je n’ai jamais fait de commerce avec le Portugal. Tout ¢a, c'est un truc pour avoir des ennuis avec les douanes. Malgré tout cela, ma fille est heureuse. Elle s’'amuse comme une petite folle. Tantét, dans la terre grasse et collante, elle exhume un hamecon taillé dans los par les Indiens, tantét elle exulte a la découverte d’une bouteille de gin, crottée et tristement vide. Enfin, on lui voit les yeux briller a la découverte d’un ancien morceau de charbon. Quelle mouche I’a piquée ? Quel sort lui a-t-on jeté ? A quelle secte s’est-elle associée ? Enfin, qu’importe ! Elle a l'air d’aimer cela et ne traine plus a la maison. Envoyez-moi vos histoires, vous aussia: lemoustiaue@shaw.ca 15