so cane ct gg tt ea Rt Ot aa tt tg pe te A I cL ge a A fot PI A AE tT TOTO TTR APIS peas << ee a 35 oe MAUROIS par Roger Dufrane André Maurois, dans un chapitre de son ouvrage sur l’art de vivre traite de l’art d’aimer. Dans une démons- tration d’une rigueur pres- que géométrique, il s’ex- prime .avec intelligence. Géométrie |! Intelligence ! Dirai-je que ces deux ter- mes font fuir les muses Suivre un plan logique pour parler de l’amour, user d’un style clair et sans prolon- gement d’images, c’est reé- duire l’amour. 4 une dis- sertation philosophique. Maurois ne l’ignore pas. Sur la fin de sa thése, il se ra- vise. Et il renvoie son lec- teur au concert pour y écou- ter du Mozart. Si les har- monies répondent aux efflu- ves de son coeur, c’est qu’il aime vraiment. D’un instinct primitif, né de la survie de l’espéce, l’homme, par les mille fi- bres de son cerveauet de son coeur, a laissé germer en lui un sentiment divin, exal- té de surcroft par toutes sortes de défenses et de ta- bous. Est-il rien de plus beau, s’exclame Maurois, que l’amour courtois des chevaliers du moyen Age ? Les Croisés emportaient ou- tremer l’image de leur dame agitant son écharpe au haut de la tour. Au loin, l’amour de 1’époux pour sa femme s’accroissait. Une cristalli- sation se formait. Hola, Monsieur Maurois ! L’idée que vous vous faites de la fidélité des Croisés vient tout droit des romans de chevalerie. Les chroni- ques, livres d’histoire de cette €poque, chantent sur un autre ton. Elles disent que plus d’un bachelier de douce France perdit sa bra- voure dans les bras des jo- lies Sarrasines. Cela dit, il faut reconnaf- tre que l’embellissement par V’absence joue souvent. Mau- rois a €voqué ce phénoméne dans son roman Climats. Et il se dépeint 4 nous 1’éprou- vant dans ses Mémoires, de méme que celui de la syl- phide, dont parlait avant lui Chateaubriand. Celle-ci est un personnage féminin, dont s’éprend l’adolescent. Pour Maurois, il s’agissait d’une héroine de roman. Pour d’autres, ce peut étre une ac- trice, Ou un personnage du passé. Parfois, la sylphide s’identifie 4 des personnes que le jeune homme rencon- tre dans la vie quotidienne. Pour le gargonnet précoce, ce peut étre soninstitutrice, ou encore ce qu’il réve de son institutrice. Heureux ceux qui ont cotoyé la sylphi- de ! If leur reste, en leur oon tt v iy f VT i Ask automne, de quoi réver. Hé- las, de nos jours, la syl- . phide devient moins saisis- sable. L’éducation moderne, non contente de bannir le romanesque, affranchit la femme. Or celle-ci perd en féminité ce qu’elle gagne en autorité. Les jeunes gens en souffrent-ils 2 Non. Ils s’aiment autrement, voila tout. Mais il leur manque souvent le plaisir délecta- ble que l’on retire de 1’émo- tion sentimentale. Maurois. décrit la marche de l’amour. D’abord, un ha- sard, un choc, un regard, une pression de main ; puis l’absence quienjolive. Lors- que le jeune homme revoit la jeune fille, il ne voit plus en elle que la sylphide. Les jeu- nes gens se courtisent ; **Encore faut-il que ce che- min, aprés bien des lacets charmants, conduise au but et ne se perde pas dans les} landes.”’ Maurois conseille aux cou- ples mariés, pour entretenir leur amour, l’embellisse- ment de la vie par lé culte des arts et des lettres, Mais| son essai ne s’adresse qu’a la bourgeoisie riche. Dans les milieux plus humbles, il existe, Dieu merci, des cou- ples qui savent s’aimer sans parler de Giraudoux ni de Fernand Léger. Pour que l?’amour dure dans le ma- riage, donne 4 penser Mau- rois, la femme doit étre le repos du guerrier, le dée- lassement de l’homme d’af- faires,- en bref, et il use d’une jolie expression ‘‘la ménagére des amours’’. Hola, Monsieur Maurois ! Voila une conception démo- dée, propre A la haute bour- eoisie provinciale dont vous éetiez issue Dans notre vie moderne, ou chacun des con- joints travaille et assume ses responsabilités, les tra- vaux et les repos sont réci- proques. © : D’autres éléments impor- tants de l’amour et du ma- riage sont envisagés par Maurois, entre autres 1’in- compatibilité physique. oul psychique, tout cela ramasse dans une synthése claire et concise. Une idée générale ressort de cette lecture. Elle} se résume par une remarque de Maurois lui-méme ; “Du choc rapide des ins- tincts, l’homme a fait jail- lir une divine étincelle.’’ HADRIAN VII par Jennifer Lulham. Prétre refusé, peintre, pho- tographe et inventeur, Fré- dérik William Rolfe écrivit aussi quelques romans auto- biographiques, dont Hadrian VII était le dernier. Adapté pour la scéne par Peter Luke la piéce, qui joue actuelle-. ment au Playhouse, montre clairement le schisme entre les réves grandioses d’unr individualiste et la réalite sordide de sa vraie vie. A la premiére scéne on dé- couvre Rolfe. en train d’ écrire dans une petite cham- bre dans confort. Menacé par sa propriétaire, 4 qui il doit le loyer et dont il a impru-_ demment repoussé les avan- ces, il regoit ensuite la visite - de deux huissiers. Ce n’est pas la convocation qu’il at- tend éternellement de 1’ Eglise Catholique, mais un ordre de saisie sur ses mi- sérables effets A cause de ses dettes. L’imagination fertile de Rolfe transforme cette scéne. Les deux huissiers vulgaires reviennent, res- plendissants dans les habits d’évéques en satin cramoisi. Ils sont venus pour enfin accepter Rolfe comme prétre et pour lui faire ré- paration de _ ses - anciens torts. Aprés une scéne ironique ot Rolfe se confesse de péchés imaginaires tout en avouant qu’il déteste ses semblables, il est nommé prétre et transporté 4 Rome. Nous sommes maintenant au Vatican. Lascéne brille avec les robes rouges des car- dinaux, le crucifix géant en or, devant lequel luisent les flammes des cierges. Des coins ombragés de la cathé- drale vient le chant litur- gique. Et voila le petit Rolfe cui arrive en noir irrévé- rencieux et sarcastique comme d’habitude. Malgreé tout, les cardinaux 1’élisent Pape et il est vite habille de blanc et placé sur le trOne. Rolfe choisit” lui- méme le nom de Hadrian - un nom autant guerrier que religieux - aprés le seul pape anglais. Jouissant de son nouveau pouvoir , Hadrian se venge sur ses ennemis d’antan. Finalement un créancier — fanatique l’ayant approché, Hadrianse laisse assassiner et meurt avec grand effet en disant: *«Pére, pardonnez-leur, ils. ne savent pas ce qu’ils font’’. C’est l’apogée de son réve. Immédiatement, la scéne change, on revient a la réa- lité de la petite chambre terne ot les huissiers en- lévent les possessions de Rolfe. En lui prenant le ma- nuscript de ‘‘Hadrian VII’’, lV’huissier-en-chef donne 4 Rolfe le coup de grace. ‘‘On ne sait jamais, ¢a pourrait avoir de la valeur’’. — Le personnage de Rolfe (alias.Baron Corvo) est dans la piéce comme en vérité complexe et fascinant. Robert Casper dans ce rdle _joue avec maftrise; sa voix pédantesque lance des darts spirituels, ses gestes sont souvent drdles et ‘vieille- fille’. On comprend 1’inabi- lite touchante de Rolfe d’ aimer ou de se faire aimer. ‘‘Né sous le signe de Can= cer, explique un prétre- novice, protégé de Rolfe, il cachait sa sensibilité aigue sous une carapace d’antago- nisme et de supériorité.’’ Robert Casper vient de jouer ce role A Houston au Texas, et il est évident qu’il a étu- dié de fagon profonde ce per- sonnage insolite. Il vit la vie de Rolfe, ses aspirations et ses échecs et nous som- mes convaincus et émus par l’expérience. J’ai pourtant quelques ré- servations sur d’autres ac- teurs de la distribution. Diana Wassman donne 4 Mrs. Nancy Crowe trop de raf- finement pour une proprié- taire qui écoute aux portes. Un brin de Cockney dans la voix aurait . été — bien: Jérémiah Sant, Protestant de Belfast et assassin, est joué par Ted Crosfield avec bra- voure mais aussi avec un accent de paysan _ sud- irlandais qui sonne mal. Pete Jaenicke joue, comme toujours, avec autorité et conviction. Il est Ragna, le cardinal italien qui s’oppose 4 Rolfe d’abord. La direction de Alan Scarfe est sQre. Pourtant, il répéte deux fois un effet. Il met une silhouette isolée en avant-scéne, dos au public, ce qui devient cliché. : Le jeu de Robert Casper est magnifique; c’est la meilleure représentation de la part d’un comédien cette saison 4 mon avis. Allez le} voir, avant qu’il ne soit trop tard. XII, LE SOLEIL, 21 AVRIL 1972 <