tie 5 iad a — = Le francais Sans péine J par Roger Dutrone Phillys, petite et brusque Phillys 4 joues rouges, qui habitez une grande maison au toit pointu de South-West Marine, votre maman n’est pas contente de vous. Et qu’avez-vous donc fait en vos gestes innocents et sac- cadés de petite Anglaise pour déplaire 4 votre chére ma- man¢ Ce que vous avez fait, je vais le dire A tout le monde, puisque vous vous enfermez dans votre erreur. Chaque matin, depuis l’au- tomne dernier, par tous les temps,- que luise le soleil ou la pluie ou la neige, votre nourrice €cossaise que vous aimez taquiner: ‘Non! je ne veux pas mettre mes bottes’ ce matin! Non! je ne porte pas mon cartable aujourd’ hui!, chaque matin, votre nourrice vous emméne pour neuf heures au jardin d’en- fant bilingue, une école ori- ginale oi 1’on tente de gref- fer sur des rosiers 4 la fois épineux et tendres comme vous quelques roses de France. La, des monitrices vous initient au doux parler des bords de la Seine ou de la Loire. Certes, elles ne viennent pas de si loin; mais cela n’enléve rien & leur compétence. Selon des me- thodes préconisées par des pédagogues modernes, on vous enseigne 4 devenir bi- lingue en vous amusant. On bouscule des jouets, on se couche pour la sieste, on noue des rondes, on chante des chansons. Dans le jardin d’mon pére Les lilas sont fleuris... Or, chaque soir, devant vos parents désolés, et qui vous secouent pour vous faire parler, de la fagon dont vous secouez votre ours de pe- luche pour ranimer le grelot qu’il a dans le ventre, vous vous entétez A ne pas vouloir parler frangais. Vous dites bien ‘Bonjour!’ et savez compter sur vos dix doigts dans la langue de mon ami Pierrot. Mais c’est a peu prés tout. Que vos parents se rassu- rent, petite Phillys. Dans quelques mois, vous com- prendrez le peu de francais que bredouille votre pére. vous épélerez les mauvaises traductions sur les boftes ‘de céréales. Et votre maman battra des mains. Car en somme, ce que souhaitent vos parents, ce n’est pas que vous parliez couramment le frangais. C’est qu’il y ait — au fond de vous quelque tein- ture de la langue d’une civi- ligation raffinée. Vous vous inscrirez A l’université plus tard. Vous vous vanterez de bQcher votre frangais dans les piéces de Giraudoux et ’ yous irez chantant sur tous let toits que votre profes- seur parle le ‘parisian French’. Mais cela ne suf-. fira pas A faire de vous une bilingue. Car une langue ne s’achéte pas et ne se pique pas comme un pluimet sur un chapeau. Rien ne touche plus aux fibres de notre coeur que le langage. Vos parents ont commis l’erreur de considérer la langue fran- gaise comme un appoint de méme calibre que celui de vos cours de patinage; et la langue, la belle langue fran- aise, choquée du peu d’ egards qu’on lui témoignait, s’est détournée de vous et vous a désertée. Le petit gargon de mon voisin, mon ami Pierrot né -rez, jolie Phillys, admira-]}- de parents Québecois, lui il parle le frangais. Ii faut dire qu’il posséde sur vous de grands avantages. Ses pa- rents parlent frangais entre eux, et sa mére la bercé des plus belles chansons du Québec, qui viennent en droite ligne, comme on sait, des jardins de 1’Ancienne France. Tout cela s’est im- primé en son coeur; et main- tenant il fréquente certaine école de Heather Street, ou, malgré les programmes a- doptés par Victoria, régne un climat francais. Plus tard, il}. fréquentera l’université . Comme vous, il se penchera sur les piéces de Giraudoux. Avec cet avantage sur vous de ne pas simplement saisir les mots et tournures de I’ auteur, mais aussi l’esprit. J’aime A penser qu’alors mon ami Pierrot, qui au- jourd’hui fagonne un bon- homme de neige dans le jardin de son pére, s’adonne- ra 4 d’autres jeux. Et peut- étre (qui sait!) le rencontre- rez-vous dans la Roseraie de l’Université, la-bas, au bons de l’eau Vous lierez connaissance. Les oiseaux chanteront dans l’azur. Le printemps riera dans vos jeunes yeux. Vous vous ai- merez et vous vous ma- rierez. Et alors vous parle- blement le frangais. Car il n’est rien de tel pour maftri- ser une langue nouvelle que de l’apprendre par l’amour, a Vombre des lilas ou des roses qu’on respire 4 vingt ans. Ballet L.Kardos Grace 4 l’agence théatrale David Y.H. Lui, nous avons pu voir le Winnipeg Royal Ballet au Cueen Elizabeth Théatre produire ‘The Ecstasy of Rita Joe’ ainsi qu’un‘ Pas de Dix’,un‘ Rondo’ et un ‘Pas de Deux’. ‘L’Bestase de Rita Joe’ fut écrite en 1967 par George Ryga de Summerland, B.C.. C’est une piéce, pour ainsi dire, de ‘Public Relations’, commisionnée par la Fra- ternité des Indiens du Manitoba pour commémorer le centenaire de leur traité avec les représentants de la couronne britannique. Ils disent: ‘Les blancs sont venus dans notre pays avec la Bible et maintenant ils ont notre pays et nous avons leur Bible.’ Rita Joe est une jeune in- dienne, qui vient dans la ville, s’y perd et meurt. Pendant 100 ans, les indiens ont été les victimes d’une société en laquelle ils avaient confiance. Avec Rita Joe nous vivons la déception mortelle des natifs dans notre systé€me de justice et dans notre philosophie chré- tienne. La piéce fut présentée pour la premiére fois en 1967 au Playhouse de Vancouver avec le célébre Chef Dan George, qui jouait le pére de Rita. La musique était de Ann Mortifee. Inspiré de ce texte émou- vant, le choréographe Norbert Vesak en fit ce ballet que nous avons vu. La mu- sique, réécrite et en partie chantée par Ann Mortifee, explique presque sans voir l’action la tragédie de cette malheureuse fille. Le ballet est présenté par des moyens dit ‘multi- media’. Depuis toujours, le ballet est une des expres- sions artistiques qui se sert de plusieurs moyens pour . créer unensemble: La musi- que et le visuel. Dans Rita Joe, nous voyons simultanément se dé- rouler un film, nous enten- dons des voix, enregistrés sur bande qui, de temps en temps, accompagne I|’action. Nous entendons aussi la mu- sique d’instruments et de chant et nous voyons le bal- let, pour ne rien dire des. effets de lumiére. La chose curieuse c’est que ces différentes actions ne sont pas toujours synchro- nisées. Le film, sur lequel on voit Chef Dan George, n’est pas toujours relié 4 l’action sur la scéne. Par- _ fois, des photos de paysages s’accordent avec le récit, par exemple celles de la jeunesse de Rita. En prin- cipe, comme beaucoup de ballets modernes, la danse est une pantomime plutot qu* une évolution gracieuse, a- justée au rythme de la mu- sique. Dans l’ensemble, on com- prend bien que musique,’pa- role, images et danse ne font qu’un ensemble, mais les auteurs n’insistent pas sur la synchronisation absolue. II est étonnant que le specta- teur soit capable d’absorber ces différentes manigesta- tions et de coordonner l’en- semble par sapropre faculté créative. Le fait, c’est, que j?ai vécu avec Rita Joe, sa misére, ses souvenirs, ses réves. Je regrette que mon com- mentaire ne puisse pas vous inciter A aller voir cette excellente présentation, car -la derniére a eu lieu, avant que vous ne puissiez lire ‘Le Soleil’, mais, si jamais vous avez l’occasion de voir l’Extase de Rita Joe, ne la manquez pas. Le Ballet présentait égale- menf un ‘Pas de Dix’. Un ballet conventionel, les filles en tutu, les gargons en pour- point de velour. Ballet qui aurait pu @tre assez en-]> nuyeux pour ceux qui n’ai- ment pas trop le ballet clas- sique, mais quine l’était pas, grace A la beauté des exé- cutants, A la perfection dela danse et au fait que, dans ces costumes artificiels ils dansaient sur des mélodies hongroises. Le _ contraste entre la danse folklorique et la présentation classique était trés joli. Ils dansaient ensuite un ‘Rondo’, composition extra- ordinaire. Un groupe, en maillot bleu ciel, évolue d’une fagon lyrique, sur des mélodies de William Corny- she, Gustave Mahler et Simon et Garfunkel. La danse, de ce groupe sur melodies chantées est interrompue par un autre groupe en mail- lot roux, qui présente les aspects tristes et dramati- ques dans notre vie! la Machine toute puissante, la brutalité policiére, la confu- sion dans notre société, la lutte contre ]’injustice, etc.. Suite 4 la page 7. VIII, LE SOLEIL, 18 FEVRIER 1972