TT Association des écrivains francophones de la C Voici une nouvelle de Madame Pernelle Sévy : Un magicien (voir en annexe). Mme Sévy habite sur I'ile de Vancouver a Port-Alberni. Elle est une correspondante fidéle du mensuel Le Moustique pacifique. Elle est membre de I'AEFCB. Madame | Sévy a écrit deux romans : La Couleur du blé et La passion d'Anna Blaine. Vous pouvez vous procurer ces deux livre a l'AEFCB / Tél : (250) 595-4736 ou par courriel : aefcb@shaw.ca | Découvrez les écrivains franco-colombiens sur la toile de Belle-ile en Livres : www.belle-ile-en-livres.ca Un magicien Comment un enfant élevé dans un cocon douillet, choyé comme un dieu par des femmes, mére, grand'mére, tantes, peut-il se retrouver plus tard éternel voyageur contraint a la semi promiscuité des cargos? II est vrai que courir les mers | était une tradition dans la famille de Julien Viaud. Son grand-pére était présent au coup de Trafalgar, face a l'amiral Nelson, | et perdit la vie 4 29 ans. Son oncle, encore moussaillon, avait disparu dans le naufrage de "La Méduse". Son frere enfin, qui lui parlait de pays lointains et d'iles peuplées d'oiseaux, avait lui aussi péri en mer. Malgré ces destins tragiques, Julien Viaud fit sa carriére dans la marine marchande, passa un jour par Tahiti ou une vahiné lui donna le nom de Loti - petite fleur du Pacifique - y ajouta Pierre et signa ainsi tous les livres , romans et récits de voyages, qu'il écrivit toute sa vie. Changer de nom dat lui plaire, lui qui aimait tant les déguisements. Par amour de la fantaisie? des fétes costumées? Ou bien n'aimait-il pas celui qu'il paraissait étre? II portait des talons hauts pour faire oublier sa petite taille, se maquillait, s'affublait de turban ou de djellaba, ce qui faisait dire a Edmond de Goncourt que Loti n'aurait pu sortir acheter du pain sans se mettre un faux-nez. Selon les ports ou il abordait, il était un Japonais, un bédouin, un Turc, se fondant dans la population locale. Pierre Loti n'est plus lu aujourd'hui comme au temps de mon enfance. A présent les pays lointains ne sont qu'a quelques heures d'avion et ils n'ont plus de secrets grace a la télévision. Cependant , lorsqu'on lit I'incipit de "Vers Ispahan": " Qui veut venir avec moi voir a Ispahan la saison des roses..." cela a une autre dimension que I'Iran sur le petit écran ! La dimension du réve. Loti, c'était cela: quelques phrases, et le réve était la. J'ai lu tout Pierre Loti il y a bien longtemps : "Le roman d'un enfant" , "Mon frére Yves" , "P€cheurs d'Islande" , "Madame Chrysanthéme" , "Aziyadé" , "Ramuntcho", et les | autres... Il a enchanté mon enfance et mon adolescence. J'aimais tous les terreneuvas, je pleurais avec Gaud lorsqu’elle attendait en vain l'homme qu'elle aimait et qui avait disparu on ne savait ol, dans quelle tempéte. Je voyageais au Maroc, au Japon, a Istanbul, je traversais les étendues de cailloux et de sables du désert. Dans ce "Désert", justement, il n'y avait rien. C'était cela la curiosité. Et de ce rien Loti faisait naitre la poésie. Magie du style. Oui, voila le mot juste : Loti était un magicien. Et davantage qu'on le croit. C'est lui qui, le premier, avec "La mort de Philae", signala le danger d'engloutisse- ment du temple d'Isis que l'on peut admirer aujourd'hui sur le Nil grace a de gigantesques travaux, et peut-étre aussi grace | ala campagne qu'il mena pour le sauver. C'est aussi a lui que l'on doit la restauration du chateau de La Roche-Courbon, ce "chateau de la Belle au Bois dormant" pour lequel il lanca un cri d'alarme et qui, miraculeusement, s'est réveillé. Mais un magicien ne réussit pas toujours dans ses entreprises. Lorsqu'il s'indigna des massacres perpétrés au Tonkin par les troupes francaises au moment des conquétes coloniales, il se heurta a une politique qui n'avait que faire des sentiments d'un poéte. On le pria de prendre sa retraite. Il vécut alors entouré de ses souvenirs. II repose dans le jardin de la "mai- son des aieules", dans I'ile d'Oleron, et personne ne peut violer l'intimité de cette derniére demeure. On peut, par contre, visiter sa maison de Rochefort qu'il a de son vivant transformée en musée et qui raconte ses voy- | ages et ses aventures. Un autre lieu me touche particulierement. C'est un petit café juché sur l'une des rives de la Corne | d'Or entre Istanbul et Eiytip, au milieu des pins. Loti y venait souvent, a chacune de ses escales au Bosphore, pour y écrire des journées entiéres. Tout y a été conservé comme il I'a vu, comme il I'a aimé. Bien entendu, il s'appelle le "Pierre Loti | café". J'ai eu la chance d'y aller plusieurs fois et d'y rester longtemps a I'une des trois ou quatre tables installées a |'om- bre. Les touristes d' alors hésitaient a s'embarquer sur cette riviere bourbeuse pour grimper ensuite une rive escarpée au milieu d'un cimetiére musulman. Promenade, pourtant, pleine de charme. La-haut, calme absolu. La patronne parlait | francais. Elle avait des relations avec la famille Loti-Viaud et correspondait avec l'arriére-petite-fille de Pierre Loti... que jiavais eue comme étudiante et dont elle me donna des nouvelles. Cette coincidence, c'était encore, a coup str, un tour du magicien... = - Pornele ay | Pernelle Sévy est membre de |'Association des écrivains francophones de la Colombie-Britannique. Nous la retrouverons au Salon du livre franco-Ontarien en novembre 2005. Page 18/29