Située dans une prairie par- semée de statues olméques toutes pareilles Ades stéles, le musée archéologique de Jalapa contient d’intéres- sants spécimens de sculp- tures et poteries ancien- nes. On y voit de frustes figurines, les unes grima- cantes, les autres rieuses. Enfants, adultes, vieillards, taillés dans la pierre volca- nique, rivalisent d’hilarité. On sait que les Indiens du Mexique se civilisérent de bonne heure. Une caste de seigneurs et de grands pré- tres gouvernaient la masse des hommes libres et des esclaves. Dans 1’état de Ve- ra-Cruz, la pyramide de El Tajin temoigne de cette so- ciété autocratique. Les gui- des parlent d’un peuple avan- cé en astronomie et en ma- thématique. Or, il ne faut pas oublier que dans toute société primitive, seuls les forts et les intelligents ac- cédaient au pouvoir et 4 la science. Plus encore que de Mexicains vivaient autre- étaient les esclaves du sol d’un pays qui ne possédait que trente pour cent de ter- res arables. Comme leurs fréres plus au Nord, les Indiens du Mexi- que parlaient des dialectes fort divers. Ils se guerro- yaient A tout bout de champ. César profita des divisions intestines de la Gaule pour la subjuguer ; les Espagnols profitérent des querelles in- diennes. Les dialectes me- xicains s’entendent encore sur les marchés, quoique nos jours, la masse des | fois fort petitement. Ils | la masse du peuple puisse s’exprimer dans la langue castillane. On connaft l’image du Me- Xicain accroupi contre un mur et dormant sous son sombrero. Or, les tra- vailleurs de Jalapa somno- lent fort peu. Quant au grand chapeau, il ne se voit que dans de rares états, et sur- tout pas dans celui de Vera- | Cruz. Impossible de décrire un type unique de Mexicain ! La multiplicité des groupes ethniques l’interdit : mélan- ges d’Amérindiens, d’Euro- péens, d’Africains, brassa- ges de métis et de créoles, chevelures plates, bouclées, crépues, nattées, tous les pigments de peau, voila la foule mexicaine. Dans 1’Arizona, le Texas, le Nouveau-Mexique, on sent un malaise dQ 4 la discri- mination. racialee Rien de cela au Mexique. Dans son discours de bienvenue aux étudiants américains ins- crits aux cours d’été 4 1’Uni- versité de Vera-Cruz, le TEcCteum Insiste wslteicemne qualité. La cérémonie se déroule au palais des beaux- arts, A Jalapa, la capitale. Sur la scéne, derriére un tapis rouge, le gouverneur et sa suite. Dans la salle, l’élite, visages plus ou moins basanés, élégantes au teint blanchi par les onguents. Le | discours est suivi d’un in- terméde musical violon, violoncelle, hautbois. Cela agrémente la cerémonie. Au sortir de la salle, le public échange ses impressions. Derriére moi, deux hommes s’expriment en anglais ‘‘Did you bring the plastic | bags ”’ - ‘You bet if Idid!’’ | Sacres Américains ! Ils ne perdent jamais le Nord ! Cela explique leur réussite dans les affaires. VA ware hele ate Ave. t ql at wt Mi AW Dok oS Cinta Oa Oh 1 | professeurs, médecins, ar- | chitectes, brflent de voi | le jour ot les paysans, mieux | instruits, réserveront aux | exploiteurs une surprise. | nature humaine est partout | vin pour amadouer les gou- | vernants. Tout cela ne va- | lait pas mieux. Et qui ju- | rerait que les pots de vin, | méme dans les pays riches, Dimanche prochain, veille de mon départ, auront lieu les élections de la Répu- blique fédérale. Des voi- tures A hauts parleurs pa- trouillent les rues. Des ga- mins placardent des affi- ches. Election sans mys- tére, puisque tout le mond sait qui va gagner : le plus riche .! L’opposition paraft impuissante : de petites ins- criptions ici et 14, griffon- nées la nuit en se cachant4 On me dit que dimanche des camions entiers de ‘‘campesinos’’ se déverse- ront dans les officines, Beaucoup ne savent pas lire. On leur paye un jour de sa- laire pour aller marquery d’une croix un formulaire 4 l’endroit qu’on leur a dé- signé. Il faut ajouter que d’une élection A l’autre lal masse du peuple progresse. Nombre d’honnétes gens, Notons en passant que lal pareille. Ce que je trouve ici existait en Europe en 1910 et aux Etats-Unis en 1930. D’un cdté le tirage au sort pour esquiver le service mi- litaire, de l’autre les pots de n’existent plus? (A suivre ) Tristana par Jennifer Lulham. Qui est-elle, cette incarna- tion de la beauté ternie dans le film réalisé par Bunuel? C’est Catherine Deneuve, au ser 4 ‘*Tess of the D’Urber- Situé dans une ville méri- terminée du 20éme siécle, le film respire un symbo- lisme mystique. Au commencement, Trista- na en deuil accompagne sa institut de sourds-muets ot bousculé par tout le monde, lescent communique pour- tant avec la belle Tristana. Ce n’est qu’a la fin, lorsqu’ elle se trouve estropiée, qu’il ose l’approcher avec une ardeur gauche. mine la visite de Tristana un jour, demander la per- clocher et s’est assise 4 la table pour partager un re- Au fond, Saturno et un au- tre sourd-muet jouent avec un oiseau dans une cage. visage de madone, qui prend | ici les dimensions d’une hé- | roine tragique. Elle fait pen- | villes’? de Thomas Hardy. | dionale, A une époque indé- | servante Saturna dans un | le fils de cette derniére a | été admis. Incompris et | méme par sa mére, cet ado- | Une image hallucinante ter- | au sacristain. Elle est allée, | mission de monter dans le | pas de mie de pain sauté. | Est-ce un symbole de sa jeunesse prisonniére ou du Saint-Esprit? Le pain qu’ | elle mange est peut-€tre un sacrement. Toutefois, aprés | la montée tortueuse de la tour, ou les deux galopins la taquinent en essayant de | soulever sa jupe, Tristana a une espéce de révélation. | Dans le beffroi, elle trouve | la grande cloche, celle de | ‘‘la gloire’’. A la place du battant, elle | voit suspendue la téte agran- | die de son futur gardien. C’est lui qui la séduira, lui qui remplacera son pére et qui deviendra enfin son ma- ri. C’est une vraie trinité | freudienne. Et Tristana, selon les voeux de feu sa mére, rentre chez Don Lope (Fernando Rey). | Ce monsieur, deja d’un cer- tain Age, court toujours les jupons, frise sa moustache et noircit ses favoris. Evi- demment, il est tenté par l’?innocence de Tristana, fra- gile dans sa petite robe noire. Pourquoi céde-t-elle? Peut-étre A cause de ces désirs obscurs que nous avons apercus, peut-€tre 4 cause du sens del’obligation ou de la curiosité¢ Lorsque | JOU | de midi, elle est assise de- Don Lope 1l’embrasse pour la premiére fois, c’est a l’in- térieur de l’église, prés du bénitier. Ce symbolisme sexo-religieux parcourt le film. Quand Tristana ren- contre un jeune peintre, in- | terprété par Franco Nero, et en tombe amoureuse, ils | s’embrassent sous le por- tail de l’église, mais 4 l’ex- | térieur et des passants les traitent de débauchés. Pour- tant, personne n’avait cri- tiqué sa liaison avec le vieux Lope. Cela ne peut plus continuer. Tristana est ¢mancipée. Elle s’habille maintenant dans les tons marron, couleur trés seyante, avec ses cheveux cuivrés et ses yeux ambres. Elle se détache de Lope pour partir avec le peintre. Aprés deux ans d’absence, il la raméne, gravement ma- lade. Elle n’a pas accepté de l’épouser et a demandé 4 revoir son gardien. Une amputation de la jambe est nécessaire. Cette atteinte a sa beauté semble un acte aussi sacrilége que le sup- plice d’un saint. Tristana reste sous le toit de Don Lope et le jeune homme s’efface. Elle épouse Lope mais en le haissant. Un jour, dans la chaleur vant sa coiffeuse. Sa jambe artificielle gft sur le lit comme un reproche. La por- te s’ouvre et Saturno entre. Tristana le congédie et il obéit. Puis du jardin, il l’ap- pelle par une pierre lancée contre sa fenétre. Tristana apparaft sur le balcon, pas comme une femme mortelle mais comme un étre divin, radieux dans la lumiére du jour. Avec le méme geste que Jésus montrant son coeur, elle ouvre lentement sa robe. Devant sa beauté, Saturno recule comme un adorateur. Dommage que Bunuel gache la fin de ce beau film. I rompt cette extase mystique avec un crime vulgaire. Tristana qui a déja tué le coeur de Don Lope par son indifférence, le laisse mourir alors qu’il est ter- rassé par une crise car- diaque. Elle fait semblant de télephoner au docteur et Ouvre tout grand les fené- tres sur la nuit neigeuse. Au début, Bunuel nous con- te la parabole d’un €tre pur martyrisé pour les péchés des autres, mais 4 la fin, le film sombre dans le mé- lodrame. Il vaut quand mé- me bien la peine d’étre vu. (Ce film passe au Varsity). LE SOLEIL, 28 MAI 1971, VII