a pert Nos cousins par Réginald Martel ANTHOLOGIE LITTERAIRE DE L*AMERIQUE FRANCOPHONE, pré- face, choix et notices par Auguste Viatte, 519 pages. Centre d’étude dé littératures d’expression francai- s& Sherbrooke, 1971. Francophonie... - . Le mot n’apparait pas dans mon €dition (1968) du Petit Robert. Il fut créé récemment, si ma mémoire est bonne, par un leader politique_nord- africain, et il a connu une heureuse fortune. Il arrive qu’un mot nouveau recouvre des réalités trés anciennes; il y a belle lurette qu’il existe, aux quatre coins du monde, des humains qui parlent francais. Une langue est le lien cohésif de toute nation; s’il ar- rivait que la majorité des Québécois devinssent bilingues, les linguistes af- firment que la langue frangaise (et ses variantes québécoises) disparai- trait rapidement du territoire national. En poussant plus loin leur pronostic, on peut s’inquiéter de ce qui, dans une telle éventualité, pourrait réunir encore, dans un devenir collectif, les Québécois: Perdue la charrue, perdue la foi et perdue la langue, il ne nous resterait plus qu’a devenir autres. J’ai V’impression que la notion de francophonie est avant tout une réac- tion de défense contre les attaques systématiques que subit la langue francaise dans le monde entier. Je ne pense pas tellement au terrorisme lin- l'intérieur, qui prétendent que l’affir- mation et la réalisation de lunilin- pense surtout au recul manifeste de la langue francaise dans l’ensemble des “communications mondiales. La guérilla quotidienne Ainsi, des francophones d’Afrique, d’Amérique et de partout éprouvent le besoin de multiplier entre eux les échanges culturels, techniques et au- tres, de facon que soient assurés le maintien de la langue francaise dans le monde entier et, si possible, son expansion. Il est significatif, et tres encourageant je pense, qu’un Centre détude des littératures d’expression francaise soit né au Québec, dans une université jeune et dynamique. Cela guistique pratiqué par nos ennemis de guisme francais constitueraient une | -] forme certaine de suicide national. Je _dAmerique signifie, selon moi, que les francopho- nes de l’Hexagone ne sont plus les seuls responsables de la défense et de illustration de la langue francai- se; ils le seront sans doute de moins en’ moins, & mesure que les franco- phones de la di ion auront affirmé leur identité culturelle et politique ori- ginale. Il est évident -que les Québécois n’en sont pas encore la. Dans une bonne partie du territoire, la défense de la langue frangaise est un acte quotidien de guérilla personnelle. Je serais cu- rieux de connaitre les résultats d’un sondage auprés de la population qué- bécoise, 4 qui on demanderait ce que signifie pour elle la francophonie. Je ne serais guére surpris .d’apprendre qu’elle est percue par bien des gens comme un élément, parmi bien d’au- tres, du lamentable contentieux cana- do-québécois. J’avoue qu’il est diffici- le, au dela de cette dimension stricte- ment politique et immédiate, de trou- ver une définition qui fasse ressortir les valeurs spirituelles et intellectuel- les que ‘sont censées véhiculer les lan- gues dites, orgueilleusement, ‘de civi- lisation”; sur ce Sujet, toutes les ba-. nalités ont été exprimées, Nous séduire, nous enrichir En réalité, dans la marche lente des hommes vers l’utopie (seule issue de survie), on reconnait que les pas fondamentaux transcendent l’accident linguistique. Et peu nombreux sont, parmi nous, ceux que le hasard ou des occupations professionnelles favo- rables ont mis en contact direct avec les francophones d’autres communau- tes: Acadiens, Francais, Haitiens, Africains et autres. La littérature, méme si elle ne servait qu’a cela, est un instrument privilégié de contacts et de fraternité; elle révéle, A travers les oeuvres de ses conservateurs et de ses novateurs, ce que chacun des peu- ples francophones peut apporter d’origi- nal a l’édification d’une francophonie vivante. Participant d’un méme moyen d’expression — et malgré les differences régionales — elle rend ac- cessibles a fous les préoccupations de chacun des peuples qui la font. Et ce n’est pas faire preuve de chauvinisme culturel ou linguistique que de multi- plier prioritairement les contacts avec les littératures nationales d’expression francaise. C’est dans notre langue, il me sem- ble, que les hommes du monde entier peuvent le plus facilement nous rejoindre, nous intéresser, nous sédui- re et, en fin de compte, nous enrichir. De la méme maniére, nos meilleurs écrivains ont accés; dans la mesure ou les échanges institutionnels s’y pré- tent (et ils pourraient s’y préter de plus en plus), @ un public de millions de lecteurs qui partagent avec eux, au dela de mille différences, un moyen d’expression qui s’inscrit dans ce que la conscience individuelle et _ collective a de plus profond. Grace: aux travaux du Centre d’étu- de des littératures d’expression fran- caise de l'Université de Sherbrooke, Visolement & peu prés total de nos écrivains et de ceux de la plupart des petits pays francophones ne peut ten- dre qu’a diminuer. En diffusant ici et” ailleurs les travaux universitaires qui portent sur les littératures francopho- nes des autres pays et du nétre, on favorise lentement (mais l’issue ne fait pas de doute) un réel rapproche- ment des francophones. La francopho- nie, dans ces circonstances favorables, cessera d’étre une notion abstraite, susceptible seulement de nourrir les querelles stériles des politiciens. Pour conquérir son autonomie Le Centre d’étude des littératures d’expression francaise définit indirec- tement la place que peut occuper la littérature québécoise dans l’ensemble de la littérature francaise; il peut le . ouvrage seu Viatte, Anthologie ‘Amérique . d'ici quelques années, une mise a jour faire de facon plus ou moins convain- cante, selon le talent et la vision de ses principaux animateurs, mais rien de tout cela n’est inutile. L’imposant littéraire de francophone, dont les lacunes sont trés nombreuses, n’est veut-étre pas le meilleur instru- ment possible de ditfusion des littéra- tures francaises d’ : les mou- vements pire sont 4 peine es- quissés; il manque une bibliographie générale; les morceaux choisis, sou- vent, ne sont pas datés; enfin, Augus- te Viatte attache plus d’importance a des commentaires d’intérét secondai- re, sur la prosodie en particulier, qu’é ceux qui permettraient de situer les oeuvres dans le contexte soci i ‘que dont elles sont indissociables. Pourtant (je ne parle pas, évidem- ment, d’Aimé Césaire), la plupart des noms et des oeuvres cités m’étaient tout a fait inconnus jusqu’a ce jour. Et je trouve un émouvant parallélis- me entre le lent cheminement des lit- tératures de Louisiane, d’Haiti, de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane, vers l’autonomie de l’expres- sion littéraire, et celui des Québécois qui, de la méme maniére, 4 partir d’une langue commune, ont eu a imi- ter, a contester, 4 rejeter enfin, pour creer leur propre expression d’eux- mémes et du monde, les “maitres” francais qui avaient nourri leur esprit. Louvrage d’Auguste Viatte me laisse sur mon appetit, un appétit que je ne- me connaissais pas. Je crois que cela suffit, dans mon cas du moins, a justifier sa publication et a espérer, qui aménera Yauteur a franchir le cap de l’année 1960. Je ne sais pas ce qu’il en est ailleurs; je sais pertinem- ment que la littérature québécoise de- puis 1960 marque une rupture presque tetale par rapport a la littérature an- térieure. Boutique unisexe ~ — Luc, aujourd’hui tu vas te faire cou- per les cheveux, que tu le veuilles ou non! -— Oh non! Le barbier. va encore me raser la téte! — Alors'je prends un rendez-vous pour toi chez ma coiffeuse. — Avec toutes ces femmes sous les séchoirs qui vont me regarder... non. tu n’v penses pas! Cette conversation est du ‘“‘déja en- tendu’’ pour toutes les meres d’ado- lescents. Malheureusement. il n’y avait pas, jusqu’a ces jours demiers. de solu- tion. C'est donc pour répondre a un besoin véritable qu’une jeune Autrichienne. Gerlinda. qui a depuis cing ans déja un salon de coiffure tres sophistiqué au re7-de-chaussée de la maison de rap- rt ‘“‘Le Regency’. avenue Cote-des- ouvre dans le méme édifice, mais au sous-sol cette fois, un salon 4 |’intention de ‘‘ceux qui pensent jeunes”. Gerlinda emploie cette expression. délibérément. Ii ne faut blesser: person- ne, dit-elle en plaisantant. Pour venir ici, il suffit d'un certain état d’esprit. L’age ne compte pas. “Ce sont mes clientes elles-mémes eiges. pres de la rue Sherbrooke. | qui m’ont donné l’idée d’ouvrir un second salon. explique-t-elle. Elles voulaient m’envoyer leurs jeunes. Mais ceux-ci refusaient. Par principe. bien sir. on ne ya pas se faire coiffer 1a ol va sa mere! “Le salon va étre plus qu’un salon de coiffure. poursuit Gerlinda. une jeu- ne femme au début de la trentaine. vi- ve. enjouée. Je veux qu’il devienne le lieu de rendez-vous de toute une jeunes- se. un endroit ot l’on vient pour rencon- trer des amis. ot l'on est assuré de découvrir l’accessoire nouveau. un vé- tement original, ot la musique est bonne. ou l'on se sent bien... et accepté”’. pouting unisexe, le personnel parle au surplus frangais et anglais. “ll ne doit pas exister de barriere.’’ insiste Gerlinda qui a choisi son personnel en conséquence: Michel-Philippe. un des coiffeurs. a 19 ans: il est Canadien francais. Francoise. la spécialiste du maquillage. est francaise d'origine: Mi- chael Macsween, réputé pour son coup de ciseaux est anglophone. Son associé Pierre, est Francais. : Un décor inusité Le salon-boutique est moderne. tres attrayant: le decor est noir et blanc. la musique envahissante. I] y a partout des miroirs, du chrome. Des bonnets crochetés, des colliers en perles, des ceintures en cuir ou en métal, des chan- dails faits main, des “hot pants’’ en cuir, en denim ou en tissus fleuris. des boucles d'oreilles et des bagues amusantes, des ‘‘tétes, en papier maché portant perruques. des __ postiches- accessoires pour le soir mettant partout des taches de couleurs. Au mur, pas de lavabos traditionnels. - mais prés des chaises aux formes inhabituelles ot prennent place les clients. \des éviers mobiles émaillés noir. Les plateaux ot sont généralement placés les rouleaux et les pinces sont remplacés par des paniers en osier. Garcons et filles portent le méme peignoir unisexe blanc, agrémenté d’un motil géométrique... noir. Autres élé- L’affiche, a l’entrée du salon, résume toute l’atmosphére qui y régne: “La liberté des jeunes”. ments de décor intéressant: deux chais- ses de barbier, vieilles de plusieurs dizaines d’années. de véritables pieces antiques. nous assure-t-on. LE SOLEIL, 16 JUILLET 1971, IX