page 10 L’APPEL Février 1968 dians.’’ S’il pensait me faire plaisir il s’est trom- pé joliment et je ne'l’ai pas’ laissé attendre pour avoir ma réponse. Je l’ai assuré que je n’étais pas différent des autres Canadiens-frangais, que je refusais d’étre différent, et que je me considérais méme trés typique des canadiens- francais; qu’au contraire c’était de sa faute sil ne connaissait pas ma race, qu’au lieu de participer aux meetings de ses loges (qui é- taient sa seule religion) il devrait passer plus de temps a-lire sur le Québecois, a s’informer a leur sujet, 4 les cétoyer et qu’enfin son atti- tude aveugle s’éclairerait sur les faits et que nous sommes réellement “jolly good old chaps after all.” Ca m’a mérité un autre scotch mais lai-je convaincu? Et ce Commodore, avee un nom francais batard, descendant des hugue- nots, qui s’embétait seul dans sa cabine, qui m’arrachait si souvent 4 mes amis du carré des officiers pour argumenter continuellement sur le fait francais. Avec lui, j’avais “pride and honor’’ et je lui répondais “tit for tat”. C’était un officier de la “Gunnery Branch”, un tough comme on dit. A un mess dinner d’une soixan- taine d’officiers j’étais assis en face de lui a la table d’honneur et tout fort il réclama que les francais étaient des philosophes et non des gens pratiques; que d’aprés luj personne ne pouyait définir “philosophie’’ et il défia n’im- porte qui de trouver une définition. Je ne le fis pas attendre, et donnai une demi-douzaine de définitions, dont: philos sophia, ami de la sa- gesse, et encore: sense of values, etc. Quelques mois plus tard, il quitta le navire et j’avais la frousse au sujet du rapport qu/’il allait faire sur moi. Bien surprenant, il me donna le rap- port le plus formidable de ma ecarriére. J’avais risqué tout, ¢’avait payé; mais ca n’a pas tou- jours payé toutefois ! ! ! Il est peut-étre devenu évident que je vou- lais jaser des attitudes dans cet épisode, des attitudes auxquelles un frangais doit faire face s’il envahit le pays des “cups of tea and crum- pets.” J’ai telement divagué sur les motifs qui m’ont amené ici que je n’ai pas assez d’espace pour compléter ce sujet d’un seul coup, mais je continuerai le mois prochain. Laissez-mois finir aujourd’hui par une description qui, je crois, révéle différentes attitudes, différentes manié- res de vivre, de penser; une de mes toutes pre- miéres expériences avec la société anglaise. Je devais me fiancer le samedi soir suivant a Vancouver. A Victoria, j’avais terminé un cours de six semaines sur l’administration de la marine et le dernier cours, pour “crémer’’ ces séances intellectuelles, nous dvions passer trois jours 4 apprendre la cuisine: comment dépecer un boeuf, faire des sauces, des soupes, etc, et ce vendredi nous avions un concours pour mélanger un gateau. Moi, si étranger a la farine, au levain, etc.,.(j’ai toujours aimé les soupes et les rétis, mais les sucreries, bah!) jai, par pur hasard, tourné le meilleur mélange de la classe et produit un gateau qu’on m’a dit succulent. Comme prix, le chef cuisinier instruc- teur, décora mon gateau a deux étages de rosettes bleues et roses, de créme avec confi- tures et un lot de “sickening stuff”. Ne pou- “Ah! si j’avais de Vaide!” homme a tout faire. Lavage de murs, parquets, jardinages, peinture. Quel prix? le votre. Ah! j'ai aussi fait des études en apprenti plombier. Parfois, cela pourrait t’aider! Merci!’’ vant refuser “mon” gateau, je décidai de l’ap- porter ce vendredi soir méme 4 Vancouver a ma future fiancée, qui adorait ces fertilités. A 7 hres tapant, je sonnais a4 la porte du beau-pére Sénateur 4 Vancouver, avec mon ga- teau dans les mains. La porte s’ouvrit et 4 ma grande surprise je dus faire face 4 une foule d’invités trés en vue, car les futurs beau-parents avaient décidé 4 mon insu, de célébrer les fi- angailles un jour d’avance. Sans me donner le temps d’dter mon lourd paletot, on m’introdui- sit 4 cette foule sophistiquée qui avait hate de voir la binette de ce “lucky Frenchman”. Je voulais m’esquiver dans la cuisine avec mon colis mais je me suis vu bien obligé d’ouvrir mon “‘cadeau” en face de tous ces gens qui ré- vaient sans doute d’un cadeau romantique: A ma grande honte j’ai di montrer mon gateau couvert de rosettes et la seule imbécilité que jai pu balbutier fut: “I baked it myself.’ Comme je me sentais masculin et virile!, j’au- rais voulu me trouver six pieds sous terre. Les joues écarlates, les oreilles brfilantes, il m’a fallu subir sans répit la présentation A totis ces buveurs de champagne. Si ‘jamais on nous accuse d’avoir des complexé d’infériorité, ¢’é- tait vrai ce soir-la. Tout cet essaim, d’étrangers me serra la main ou m’embrassa (ce qui aurait di me remettre d’aplomb) en me disant les uns aprés les autres: “You’re so lucky, Gas- ton’’,, “You made it, boy”, “You’ve hit thé jackpot, buddy”; tous ces compliments aux- quels je n’étais pas habitué en de telles occa- sions; et plus on me disait come j’étais chan- ceux d’épouser telle perle, plus je me sentais’a- moindri. Mrs. Brown, épouse d‘un_vieil. ami médecin me donna le grand coup avec une ac- colade expansive: “You don’t know how lucky you are, honey.’’ Ca y était; tous ces gens ne me connaissaient pas; et tristement j’aurais ai- mé répondre: “Isn’t she lucky too . . . a little bit?’’ Jignorais cette coutume anglaise qui in: siste 4 vous assurer que chaque homme “is a darn lucky guy’’ lorsqu’il se marie. C’est la premiére fois que je me sentis “canadien er- rant’’ ce soir de mes fiangailles, ot j’aurais di étre si heureux. Je me sentais si prés de mon amour, mais tellement loin de mes amours. ° (& suivre) $ d aL L &, Maintenant déménagé a wf & 709 Como Lake Ave. Aussi prés de vous que votre téléphone. Appelez: 939-7287 ae “Vous en avez. Je me présente M. Gérard,