page 6 L’APPEL Juin 1967 Une Histoire de la Colombie-Britannique Chapitre VI VICTORIA, “FLORIDA” DU PACIFIQUE Notre choix du qualificatif Florida pour décrire la ville de Victoria, capitale de la Co- lombie Britannique, vient de deux motivations. La premiére vaut pour son attrait climatique qui en fait un lieu de retraite qui rivalise avec la Floride. La deuxiéme, 4 cause de la défini- tion méme du mot “florida”: fleurie. Du point de vue climat, Victoria jouit peut- étre des conditions les plus favorables au mon- de. C’est, du moins, ce que s’accordent a dé- clarer la plupart de ceux qui ont beaucoup voyagé. Rarement de chaleur intense, et, plus rarement encore de températures descendant au point de congélation. La précipitation an- nuelle est de la moyenne acceptable de 24 pouces. Située 4 la pointe de l’Ile de Vancou- ver, Victoria est 4 ’axe d’un corridor naturel qui favorise un courant continu d’air marin tempéré par la masse d’eau du Pacifique. C’est 4 Victoria que les détroits Juan de Fuca et de Georgie se rencontrent. Au sud, au dela du Juan de Fuca, s’éléve le massif de la péninsule Olympique, le coin nord-ouest des Etats-Unis, qui fait partie de l’état du Washington et dont la plus grande superficie consiste en un parc naturel et en une vaste réserve forestiére. Des cimes aux neiges éternelles donnent aux Vic- toriens une vue panoramique de Vhorizon qui les distrait, de temps en temps, de leurs jar- dins, du rythme ralenti de leur vie et de J’il- lusion d’étre en sécurité, loin de la vie trépi- dente du continent. Victoria est en voie de perdre sa réputa- tion d’étre la “petite Angleterre” du Canada. Maleré la nostalgie encore apparente dans le style des quartiers résidentiels, les derniéres cing années auront porté le coup de grace a un folklore qui dominait encore quand j’ai connu cette ville pour la premiére fois, en 1960. C’était encore l’ére des foulards de laine, de l’accent britannique, de l’anarchie ordonnée de la circulation automobile. Pour le Nord- américain conformiste, cette atmosphére pai- sible, ces septuagénaires au volant de leur an- tique voiture, cette condescendance de la gé- nération plus jeune, ce respect instinctif de tout ce qui vit: animal, oiseau ou simple ar- buste, ce soucis de la propreté dans les pares et autres endroits publics, ces “petits vieux” qui, pendant des heures observaient la mer, de la promenade Beacon Hill, préts, au moindre signe, 4 engager la conversation et a faire Voraison de leur paradis, cette retraite pouvait ressembler 4 un musée. Mais, pour celui qui, comme moi, cherchait le coin de cette terre d’Amérique que le siécle de la vitesse n’avait pas encore déshumanisé, c’était la terre pro- mise. A ce moment, il y a sept ans, 4 part l’a- vion il n’y avait qu’un moyen de transport entre Vile et le continent: les Empress du C.P.R., vaisseaux d’une autre époque, actifs surtout en saison de tourisme et prenant six heures pour faire la traversée. L’alternative était de faire la traverse par Nanaimo, a 80 milles, par route, vers le nord de J’ile. C’était done le cas de dire que Victoria était une ville insulaire. Pourtant, c’est la capitale provinciale. Du point de vue efficacité de lV’administration ce n’était stirement pas le meilleur endroit pour un siége de gouvernement. Mais ce choix fut lune des conditions posées par les habitants de Vile en échange de leur décision de faire partie de la province de Colombie-Britanni- que, décision qui fut prise, par référendum, en 1866. Le premier siége du gouvernement fut New Westminster, ville située au sud-ouest de Vancouver. Paradoxalement, le gouvernement au pou- voir depuis 1952, celui du Crédit Social de M. W.A.C. Bennett, est le modéle de gouverne- ment qui se rapproche le plus de ce qu’on ap- pelle communément entrepreneur général. L’accent, depuis plusieurs années, a tellement été mis sur la construction d’un vaste réseau routier, sur la mise en chantier d’une imposan- te flotille de vaisseaux passeurs, sur le chemin- de-fer Pacific Great Eastern et sur le dévelop- pement des ressources hydroliques, miniéres et forestiéres, que le régime Bennett s’est ac- quis la réputation d’étre le promoteur d’une civilisation du béton, de l’asphalte et des gran- des corporations. C’est dans un tel remou qu’a été emportée l’insularité de Victoria. Victoria est maintenant 4 deux heures du continent par bateau. C’est le gouvernement, lui-méme, qui exploite le service de traversiers modernes, dont le tonnage total rivalise avec celui de la marine canadienne. Et, c’est dans le sillage ininterrompu de ce pont mobile que la silhouette de Victoria a monté en verticale, que les résidences unifamiliales ont fait place aux appartements modernes et que la “petite Angleterre” est maintenant rentrée dans le “marché commun” pan-canadien. Mais, contrairement 4 Vancouver, Victoria a une ame, une identité dont le charme n’est pas appelé 4 disparaitre. A preuve, le succés d’un merveilleux programme de rénovation du centre de la ville et de la Place de 1l’Hétel- de-Ville, le mariage harmonieux du vieux et du moderne et une politique rationnelle d’urba- nisme qui rehausse plutét qu’elle ne viole ce sanctuaire floricole. La ville de Victoria est le berceau de l’his- toire de la Colombie Britannique. II serait im- possible de lui faire justice en un seul cha- pitre. C’est pourquoi il nous faudra lui en accorder au moins trois autres Nous n’avons pas pu vous parler de son histoire religieuse, de Vimportante contribution canadienne-fran- caise 4 sa naissance et 4 son évolution, ni des palpitantes aventures qui s’y sont déroulées. D’autre part, nous ne saurions conclure sans faire montre d’un peu de talent 4 écrire de Vhistoire. Nous n’avons pas dit que Victoria doit sa fondation 4 M. James Douglas, qui, en 1848, établit, au nom de la Compagnie de