Le Dollar Apres le dragon chinois c’est le mythe u dollar que le. président Nixon, par un de revirements dramatiques dont ila le ret, vient de détruire. Dans un cas com- me dans l'autre, toutefois, celui qu'il con- vient désormais de surnommer Richard Viconoclaste a eu moins de mérite que de courage. En effet, de méme que le refus stiné des Etats-Unis de traiter avec Pé- kin commengait de se parer de ridicule et risquait de conduire Washington a une dé- faite humiliante aux Nations Unies, de mé- me les efforts du Treasury pour convain- cre les autres puissances monétaires que le dollar était ‘bon comme !’or’ et qu el- les devaient continuer d’en acheter tant qu’il y en aurait — et il y en avait beaucoup, la planche a Fillets américains ayant tourné sans arrét depuis. un quart de siecle — étaient de moins en moins efficaces. Pour éviter T'inondation, Washington a choisi d’ouvrir les vannes. e Car la moindre rumeur pouvait emporter le dollar. En quelques jours, au _prin- temps, pres de $5 milliards de capitaux flottants ont jeté leurs oripeaux-dollars pour shabiller de deutschmarks, de francs suisses et de florins néerlandais; et il fal- lut libérer le cours de deux monnaies et demi, en réévaluer deux autres, pour per- suader ces caméléons monétaires de res- ter investis la oti ils l’étaient déja. Mais pour quelques mois seulement. Car depuis deux semaines, la course folle avait repris: tandis que la plus-value de la monnaie allemande relativement au dollar grimpait a neuf pour cent, les capitaux spé- culatifs prenaient d°assaut Paris et Tokyo, malgré les rigoureux contrdles de change mis en place par ces deux gouvernements. Les banques centrales avaient jusquiici soutenu le cours du dollar américain, en achetant ceux qu’on venait déballer a leur guichet — bien a contre-coeur, cependant, car leurs volites en regorgeaient deja, dont elles ne savaient plus que faire. Enfin, la publication par Henry Reuss, la semaine derniére, d'un rapport du comi- té monétaire de la Chambre des représen- tants recommandant une dévaluation du dollar et les dénégations embarrassées du Département du trésor, avaient durement taxé la patience et la confiance des tréso- “|reries étrangeres: pour éviter de se re-' trouver avec des milliards de dollars de plus en décote, elles auraient probablement cessé de soutenir le cours de la monnaie américaine des le debut de cette semaine. Washington devait donc agir; et toute I’ha- bileté de Richard Nixon aura été de re- prendre linitiative en annoncant simulta- nément un train de mesures radicales, pour restaurer la position concurrentielle de l'économie américaine, et la, mise en sus- pens de l’étalon de change-or, la cle de vot- te du systeme monétaire international mis en place a Bretton Woods il y a un quart de siecle. Car c’est bien de cela quil sagit. En donnant instruction au secrétaire au tré- sor “de suspendre temporairement la con- vertibilité du dollar en or et autres instru- ments de réserves’, le président Nixon a coupé le lien fort ténu et de plus en plus artificiel (quoi qu’en pensent Jacques Rueff et autres. ‘auriféristes”), qui reliait la constellation des monnaies au meétal pré- Jcieux. Ce lien, c’était lengagement pris unilatéralement par Washington, le 10 deé- cembre 1946, d'échanger chaque dollar qu’on lui remettrait contre .888671 gram- me. dor, le prix de ce métal se trouvant ainsi fixé, jusqu’a nouvel erdre, a $35. l'once. Cet.engagement était garanti par les enormes réserves métalliques de Fort Knox qui, en 1957, valaient encore $25 milliards. Depuis, ces réserves n’ont cessé de dé- cliner. Année apres année, de précieuses _ cargaisons quittaient les voites ameéri- Caines pour financer une fraction du déficit - des paiements extérieurs des Etats-Unis, ‘autre fraction étant financée par endet- tement a court terme, sous forme de ba- lances-dollars inscrites au crédit des tré- soreries étrangeres. A mesure que ces balances-dollars se gonflaient, — elles sont aujourd’hui supé ‘Tieures a $50 milliards — et que lor de ‘Fort Knox fondait (il n’en ‘restait plus que $10 milliards le mois dernier) |’ engage- ‘ment pris par Washington perdait de sa _crédibilité. Surtout que le dollar trainait | comme un boulet une autre monnaie de ré ‘serve, la livre sterling, qu'une économie | britannique en décrépitude a refusé de dé |valuer jusqu’a la derniére extrémité. Ajou- |tez a cela la restauration des économies europeennes (en particulier celle de l’Alle- magne fédérale), la montée vertigieuse de | l'économie japonaise, le carcan d’un_ sys- |teme de parités fixes, les inévitables coups ide guigne qui, périodiquement, ont secoué ' plusieurs- grandes monnaies nationales (le dollar canadien en 1962, le franc francais en 1968-69) et vous trouvez réunis les fac- _teurs d’instabilité qui, depuis sept ans, 'ébranlent le systeme monétaire internatio- inal. On a crucifié les spéculateurs; mais lls n’ont fait que saisir les perches qu’on leur a tendues: et ils ont pu le faire sans ‘risque aucun. | @ Désormais, les spéculateurs. devront prendre leurs risques. Les marchés de ichanges rouvriront vraisemblablement ce |matin; le dollar n’étant plus convertible en \or, les banques centrales laisseront glisser le cours du dollar; certains spéculateurs y ‘trouveront probablement leur compte. D’au- \tres se jetteront sur le sterling. le franc francais, le yen japonais: mais a moins de ,vouloir continuer d’accumuler des dollars ques temporairement, Washington refuse 'd’échanger contre quoi que ce soit d’autre que des biens et services. Londres, Paris et Tokyo devront ou bien-suspendre la con- vertibilité de leur monnaie, ou bien en_li- 'bérer le cours. Or, quatre grandes mon- naies sont déja flottantes. Pour les spécula- ‘teurs. ce sera donc alors l’aventure: en ‘vendant dollars contre yens. ils risqueront de perdre; car apres avoir touché le fond, le dollar ne manquera pas de rebondir. Ce rebondissement sera d’autant plus éner- gique que les. autres mesures annoncées hier par le président Nixon amélioreront a breve échéance la position concurrentiel- le de l'industrie américaine, tant sur les mar- chés intérieurs que sur les marchés exté rieurs. Bien que relativement modestes. les _réductions d’impot et les coupures budgétai- res devraient relancer |’expansion; l’auto- mobile, en particulier, cette industrie-baro- métre de la prospérité, devrait reprendre son essor, entrainant dans son sillage ses grands fournisseurs, telles les aciéries. Bien que pour trois mois seulement, le gel des prix, salaires, loyers et dividendes de- vrait réduire de moitié ou presque le taux _ ment la réforme du systeme monétaire in- @inflation aux Etats-Unis; 4 moins que les économies concurrentes n’emboitent le pas, les produits de Amérique trouve- ront plus facilement preneur 4 |’étranger .et pourront mieux concurrencer les impor- tations au pays méme. Mais s’etant enfin résolu a agir, le prési- ident Nixon a choisi de mettre toutes les \chances de son cdté; ce faisant, il a dépas- ‘sé la mesure. Une surtaxe de 10 pour jcent sur les importations de produits ma- nufacturés garantira jusqu’a nouvel. ordre ;que les Américains consommeront davan- |tage de biens “Made in USA”. Cette mesure lest é€minemment déplorable. Elle va a Yencontre du libéralisme commercial af- fiché jusqu’ici par les Etats-Unis. Elle} ‘est contraire aux réglements du GATT. ‘Elle risque de déclencher un mouvement protectionniste dont tous les pays souffri- raient. Mais le risque de représailles est moins grand pour les Etats-Unis que pour les autres économies développées, l’indus- trie américaine pouvant facilement écou- ler sur son énorme marché intérieur ce qu'on l’empécherait de vendre ailleurs; et bien que cette surtaxe doive étre tempo- raire, le président Nixon s'est bien garde de préciser jusqu’a quand elle sera en vi- gueur. Sans doute le chef de la Maison blanche a-t4l voulu se donner une certaine marge de manoeuvre, au cas ou la balance com- merciale du pays mettrait plus de temps que prévu a se rétablir. Mais en outre, il est probable qu'il ait brandi le gourdin de cette surtaxe pour mieux faire entendre ral- son aux Européens (surtout les Frangais) et aux Japonais qui, apres avoir refuse da- bolir leurs propres taxes de frontieres et autres mesures protectionnistes, ont resis- té aux pressions de Washington les incitant} — a réévaluer leur monnaie — conférant ainsl a l’Amérique l'avantage concurrentiel dont elle a besoin, sans s’exposer au traumatis- me d'une dévaluation en bonne et due forme du dollar. La manoeuvre est donc de bonne ‘guerre... a condition qu'elle ne déclenche) pas les hostilités. ® Pendant que ce train de mesure restau- rera la position concurrentielle de ’econo- mie américaine et que le jeu de 'offre et de la demande rajustera les parités entre les ndes monnaies, les grands argentiers de 'Occident pourront envisager plus sereine- ternational qui simpose. On sait déja dans quelle voie Washington voudrait que cette réforme s‘engage: abandon progressif de Yor comme instrument de réserve (au profit des droits de tirage spéciaux ou de quel- qu’autre forme de monnaie de papier) et elargissement~ des marges de fluctuations entre monnaies avec rajustements fréquents de leurs parités fixes, pour éviter que ne réapparaissent les disproportions excessi- ves qui sont causes de la débandade dau- jourd hui. Ces propositions sont judicieuses et de- vraient étre appuyées par plusieurs grandes juissances monétaires, dont 1 Allemagne éderale, Angleterre et le Canada. Quant aux récalcitrants, ils n’ont qu’a bien se te nir: Hs au geste spectaculaire du presl- dent Nixon, les Etats-Unis tiennent le gros bout du baton; et pour une fois, on n'a pas a trop le regretter. Claude LEMELIN du DEVOIR Mitre Directeur- Rédacteur en chef: Directeur administratif : Gilles Aerts Jacques Baillaut Alain Clerc Brigitte Clerc Gerry Decario Roger Dufrane Le Soleil, anciennement Le Soleil de Vancouver, fondé en 1968 et L’Appel, fondé en 1965, est un journal indépendant ipublié chaque semaine par Le Soleil de Colombie Ltée, Case Postale 8190, Bureau L, Vancouver. 14, C.-R. Myriam Bennett ; Robert Bennett | Jean-Claude Arl Daniel M Hison Edmond Girault A.A. 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