L'aide aux groupes ethniques exige-t-elle l'abandon du biculturalisme?. Sil ne s'agissait que d’acquiescer a un programme visant a favoriser I’épanouisse- ment des valeurs culturelles que repré- sentent au Canada les quelque cing millions de citoyens qui ne sont d'origine ni britan- nique ni francaise, le train de mesures an- noncé hier aux Communes par M. Trudeau devrait étre accueilli avec satisfaction dans toutes les parties du pays. Les Canadiens d'origine autre que bri- tannique ou francaise forment aujourd'hui plus du quart de la population canadienne. En .Saskatchewan et au Manitoba, leur proportion dans la population totale est su- périeure a celle des citoyens d’origine bri- tannique ou francaise. En Ontario, ils cons- tituent 35 p.c. de la population, ayant mar- qué a Toronto en particulier des gains spectaculaires depuis le dernier conflit mondial. En Colombie-Britannique, ils for- ment 35 p.c. de la population. A Montréal méme, ils sont probablement plus de 300,- 000. Comment ne pas reconnaitre ces faits dans la politique culturelle des gouverne- ments? La loi de la vie, confirmée par des statis- tiques indiquant qu’a peine un pour cent dentre eux ne sont pas familiers avec au moins une des deux langues officielles, | montre qu’apres un certain temps, les ‘‘ Néo- Canadiens’ finissent non seulement par adop- ter l'une des deux langues officielles, mais aussi par assimiler une partie grandissante des valeurs culturelles et sociales que véhi- cule chacune des langues officielles du Ca- nada. Cette assimilation s’échelonne en général sur deux ou trois générations. Dans les re- gions rurales de l'Ouest, ov l'on observe une forte concentration de certains grou- pes ethniques, elle peut se faire plus lente- ment. Quoi qu’il en soit, un grand nombre de Néo-Canadiens, méme s’ils tendent par le mode de vie et la culture a s’intégrer ‘dans lune ou l'autre des “deux sociétes” dont a parlé la commission BB, n’en tien- nent pas moins a conserver leur héritage originel. Ils ont demandé a maintes repri- ses, par lintermédiaire des associations qui les représentent, l'appui plus explicite des gouvernements a cette fin. : Pareil souci témoigne d’un sens de Ja fi- délité, d’un respect de soi-méme que |’on ne peut qu’admirer. Le Canada a beaucoup 4 retirer d’une politique d’ouverture a cet. égard. ‘ : : Les banques, les commerces et bouti- ques de toutes sortes ont depuis longtemps reconnu les exigences élémentaires du rea- lisme en cette matiere. Des que des ~Néo- Canadiens apparaissent en nombre suffi- sant dans un quartier urbain, de nombreuses maisons d'affaires s’efforcent de leur offrir un service dans leur langue. Ce que les maisons d’affaires reconnaissent sponta- nément, pourquoi les pouvoirs publics refu- seraient-ils de l’apprécier? La commission BB, dans le quatrieme volume de son rapport, recommandait que les gouvernements, dans les sphéres rele- vant de leur compétence respective, recon- naissent l’apport des valeurs culturelles du ‘“‘tiers groupe’ a la vie canadienne. D’apres ce qu’en rapporte la Canadian Press, les projets du gouvernement Tru- dau se situent dans cette perspective. Nous n’hésitons aucunement a y souscrire en principe, quitte 4 vérifier moyennant plus ample information la portée précise des autres implications de ces projets. Le Canada est un pays d’immigration forte et encore récente. Cette immigration continue d’agir sur la formation de la cul- ture, des habitudes, des mentalités, des ins- titutions. Il est normal que les Canadiens d’origine autre que britannique ou francaise veuillent faire fructifier leur patrimoine linguistique et culturel. ‘“‘Nier |’existence de ces groupes, affirmait avec raison la commission BB, ce serait nier la réalité canadienne’. ® On ne saurait cependant, sans verser dans l’équivoque, souscrire aux propos de M. Trudeau, voulant qu’il n’y ait aucune culture officielle au Canada et que l’on doi- ve se satisfaire ‘“‘d’une politique de multi- — culturalisme a Vinterieur d’un cadre bi- lingue’’. ‘Cette facon de parler traduit une con- ception chere au premier ministre cana- dien, mais qui fut rejetée par la commis- _ _ sion BB. En séparant, comme il le fait, la langue de la culture, M. Trudeau mini- mise lintime connexion qui les relie vita- lement l’une 4 l’autre. Il omet un fait ca- pital: les deux langues officielles du Cana- da, loin d’exister dans |’abstrait comme simples sujets de définitions juridiques, sont l’expression des deux cultures, des deux peuples, des deux sociétés qui donnent au Canada sa forme originale. Il se montre enfin peu informé de certaines confusions de langage qu’entretient systématiquement en ces matieres le “lobby” du tiers grou- pe au Canada. Traitant de ces questions, la commis- sion BB a clairement expliqué, dans les céleébres pages bleues de son- premier volume que M. Trudeau affecte de n’avoir jamais lues, le lien vital qui existe entre la ngue et la culture et comment ce lien a donné naissance au Canada non seulement a deux communautés culturelles, mais aussi a deux sociétés. De cette réalité, la com- mission BB a fait la pierre d’assise sans laquelle toutes ses recommandations en matiere . linguistique n’ont plus guere de justification. Dans le quatrieme volume de son rap- port, consacré a “‘l’apport culturel des autres groupes ethniques’’, la commission BB est revenue sur le theme des deux cul- bures. =< “L’immigrant, écrit la commission, doit, en particulier, savoir que le pays reconnait deux langues officielles et qu’il a deux culture: principales, euaauellcs correspondent deux sociétes, l’anglophone et la francophone. Ces deux sociétés forment deux communautés dis- tinctes a 1’intérieur du grand tout canadien’’. Tout au long de ce volume, la commission soutient qu’il ne saurait étre question de cons- tituer au Canada une troisieme ou une qua- trieme société distincte, en marge des deux sociétés fondamentales. Le réalisme le plus élémentaire, et aussi une saine justice, exi- gent que les citoyens de -diverses—origines acceptent au bout d’un certain temps, sans renier leur héritage culturel, de s’intégrer | i a part entiére au sein de l’une ou l’autre des sociétés qui forment le Canada. Tout projet “de mise en valeur de leurs richesses cultu- Telles qui ne reposerait pas sur ce foe serait une source de graves malentendus. Etant donné l’opposition systématique de certains groupes de pression 4 ces con- ceptions exposées par la commission BB, il eit été souhaitable que le gouvernement Tru- deau évitat de se laisser enfermer dans la problematique mise de l’avant par des propa- gandistes qui n’ont rien compris 4 la réalité fondamentale du Canada. Loin de faire les distinctions qui s’impo- saient, M. Trudeau a, au contraire, semblé emprunter les termes mémes des résolutions qu’adoptait il y a trois ans une conférence na- tionale des groupes ethniques tenue a Toronto et dont l’esprit s’inspirait d’une farouche op- position aux vues fondamentales de la com- mission B-B. M. Trudeau est sans doute intéressé, par les temps qui courent, 4 récupérer par tous les moyens ces votes de 1l’Ouest qui lui échappent par milliers depuis quel- ques années. Ses propos d’hier sur le mul- ticulturalisme Vaideront 4 y parvenir. Ils ne contribueront gueére, par contre, a une meilleure intelligence de certaines réa- lités fondamentales sans lesquelles ce pays n’a plus guere de sens. Claude RYAN Jacques Baillaut - Vera Bullock Le Soleil, anciennement Le Soleil de Vancouver, fondé en 1968 et L’Appel, fondé en 1965, est un journal indépendant publié chaque semaine par Le Soleil de Colombie Ltée, Case Postale 8190, Bureau L, Vancouver 14, C.-R. . 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