Ne a Ae are te an een Se Excursion dans la montag- ne. Le hameau de Naolinco semble, par sa vie primiti- ve et pastorale, isolé du res- te de l’univers. Cela va chan- ger, 4 cause de la cascade. Du plateau od nous nous ar- rétons, & cent métres des chaumiéres, on 1’ admire, par-dela la vallée. Elle agite a la pente d’une montagne sa gerbe blanche. Pour les futurs touristes, on a érigé un ‘*mirador’’ A balustres de pierre. Les villageois jubilent A la prospérité qui se dessine. Vive le progrés! Au lieu de vendre des man- gues sur une place de marché, ils vendront du coca-cola au pied d’un ca- sino. La place du marché, nous nous y retrouvons justement. Sous l’oeil amusé des ma- trones caquetantes, un gamin haut comme trois pommes me poursuit. Je lui donne un peso pour me débarrasser de lui. Mais il pense sans doute que je l’engage comme ee et se Seas par une mkment. NOU Sous une Chas se de verre, une jeune fille semble dormir, parée com- me dans les estampes popu- laires. ‘‘C’est la vierge pu- nie!’’ m’enseigne mon guide a téte bouclée. Punie pour- quoi ? Je ne sais pas assez l’espagnol pour comprendre le babillage de mon compag- non. Je lui tend un autre peso et le renvoie jouer avec les galopins sur la place du mar- ché. Retour A Mexico. Depuis Jalapa, j’ai traversé unpays de montagnes noires. Des centaines de volcans, aux flancs de cendre, assombri- ssaient l’horizon. Puis nous avons parcouru des plateaux ot alternaient verdures et déserts. Cortes, 4 qui on demandait l’aspect du Mex- ique, chiffonna un papier et le jeta sur la table. Dans ce pays de bosses et de fossés, marqué par les rides des millénaires, tous les climats se rencontrent. Terre tour- mentée od le sol se meut sans répit! La statistique prétend que la ville de Mexi- co enfonce chaque année de sept centimétres. Des édifices massifs, solidement assis, se retrouvent au fil des années avec leur entre- sol au rez-de-chaussée. ‘‘ Un jour, m’a dit en faisant le signe de croix un chauffeur de taxi, Mexico va mourir!’’ Et au passage des foules in- souciantes, cette parole me donna le frisson. Je remar- quai dés lors les trottoirs gigantesques et crevassés, les hautes fagades 1é- zardées, les équipes de ma- gons qui recimentent sans tréve les immeubles. Ville immense que Mexico, et belle malgré ses: plaies. On découvre dans cette Ba- bylonne des cités plus éten- dues que Vancouver et ot ne se voit que de la richesse. On peut en parcourir d’aussi piaeiee et aG PSs Je 3 a | ni ity 8 quartiers riches, sillonnés d’avenues larges comme des parcs, bordés de somptueuses résidences, ils comptent parmi les plus beaux du monde. Le centre de la ville rappelle Paris. Le Paris des Champs-Elysées, moins harmonieux peut- étre, entaché de couleurs espagnoles, indiennes et américaines. Le traffic est étourdissant. Dans la cohue, les touristes américains gardent leur flegme. Ils pro- ménent sur les boulevards leur suffisance et leur géné- rosité. IIs jettent ici un dollar pour se faire cirer les bottes, 14 un autre pour écouter une chanson. On les tolére pour leur argent. On aménage hotels et restau- rants pour leur plaire. On sait que l’Américain 4 1’ étranger aime se croire chez lui. A Mexico, les hdtels et restaurants pour Améri- cains sont les plus chers. Leur menu se compose d’un salmigondis de recettes lo- cales et américaines: le hamburger y voisine avec le tortilla. On y sert divers cafés: l’expresso, le capuci- no, le negro, l’americano. Mais Lp een fai qu’a jours ie raoine non yy Hier soir, sous la pluie, je me suis mis en quéte ‘du Zoccalo, ou se dresse la cathédrale. J'ai longé une interminable rue bordée def magasins. Sur une place im- mense et noire se dressait une masse sombre battue par la pluie. Ce devait étre 1a. Mais je frissonnais. J’étais trempé. Je suis retourné A l’hdtel en me promettant de revenir un jour meilleur. Aujourd’hui, sous un soleil radieux, je prends un taxi pour la cathédrale. L’auto emprunte s’immenses ave- nues, traverse des carre- fours. Il me semble qu’on s’ éloigne. Chaque fois que je m’adresse au chauffeur, il hoche la téte en souriant. Mais voici la cathédrale. Sur une place imitée de Saint- Pierre de Rome donne un} vaste corps de logis, flanqué de chapelles en briques et coiffé de tourellés et de domes. A /l’intérieur, les vottes résonnantes, les vitreaux scintillants, les lustres comme des bouquets d’étoiles donnent une im- pression de grandeur. Drapeaux en téte, une thé- orie de jeunes gens et jeunes filles, suivis de pects mi le maftre autel, les. relic gieux officient et la foule en extase avance vers les lu- miéres. Des femmes mar- chent 4 genoux, brandissant un cierge allumé. Au-dehors, parmi les échoppes oi jongleurs — et camelots font des tours de magie blanche et parlent du diable, je me retrouve un peu ivre. Il me fallut plu- Sieurs heures avant de pou- voir regagner mon hdtel. Ce n’est que plus tard que 1’ énigme s’éclaircit: il y a deux cathédrales de Mexico. Celle du Zoccalo, que j’avais entrevue la veille au soir, et celle de Guadeloupe, ot mon chauffeur m’avait conduit, ce que d’ailleurs je ne regrette pas. Deux spectacles au Théatre de la Ville. Avant de parler de ces deux. représentations, je voudrais briévement parler de ce thé- atre, qui fut le théatre Sarah Bernard et dont la Ville de Paris a fait un théatre trés moderne, phithéatre, avec une instal- lation technique parfaite. Je ne crois pas qu’il y ait un seul métre carré de lascéne qui ne pourrait étre abaissé ou surélevé, qui ne pourrait pas tourner, avancer ou re- culer,: bref faire tout ..ce qu’un metteur en scéne aux idées avancées pourrait sou- haiter. C’est aussi le seul théatre A Paris qui joue tous les jours de 6h30 4 7h50 dusoir, pour permettre aux emplo- yés de bureau d’assister au spectacle avant de rentrer chez eux, souvent loin dans la banlieue. Il y a aussi une construit en am-. soirée A 8.30 pour ceux qui habitent Paris et qui veulent dmer avant d’aller au thé- atre. Les prix sont 4 lapor- tée de toutes les bourses. L’aprés - midi, fr. 6.50 ($ 1.15) et le soir fr. 10.00 et 16.00 alors que les au- tres théAtres sont beaucoup plus chers. Les deux spectacles dont je veux vous parler sont : un ballet et une sorte de drame qui n’est pas 4 pren- dre au sérieux. Le Ballet-Théatre Contem- porain du Centre Chorégra- phique National d’Amiens, présente les HYMENS de STOCKHAUSEN. Ce compositeur allemand a pris les hymnes nationaux et en a fait un pot-pourri bruyant et atonal avec les craquements, les _ siffle- ments et les grognements usuels, qui, au début, me faisaient mal aux oreilles, mais qui, une fois 1l’action de la danse commencée, me paraissaient un accompa- gnement et un fond parfaits pour les émotions que ce ballet éveillait en moi. La premiére image pré- sente un tas immobile de corps humains, entassés comme dans _ un charnier. Les maillots blancs et la lumiére blafarde évoquent les cadavres des camps de concentration. Je ne sais pas si l’auteur pensait 4 la destruction qui précéde la création. Il pen- Sait peut-étre A la cellule paraissant inerte, de la- quelle naft la vie. En effet, les corps commencent Ien- tement 4 bouger. Un corps se .détache. Des mouvements se développent jusqu’A ce que les individus sortent de la masse et commencent 4 évoluer. De ce groupe, les individus, nés d’une cellule ou qui sort- ent d’une catastrophe mort- elle commencent 4s’organi- ser. Une société naft avec ses régles, ses conventions et ses tabous. L’un aprés 1’ autre, les danseurs dispa- raissent pour revenir habil- lés d’un maillot aux couleurs nationales. On reconnaft fa- cilement les symboles des drapeaux nationaux. L’har- monie des débuts fait bien- tOt place aux conflits de 1’ individu contre la Société, des individus entre eux- mémes et les agressions en- tre les Sociétés. L’angoisse, la peur de Vavenir et la méfiance ané- antissent bientdt les Socié- tés malgré la rencontre du couple original, quipar l’ac- te de l’amour recommence le cycle de la création. Les maillots changent de nouveau. Les couleurs et les emblémes nationaux devien- nent confus et déformés. Les hommes luttent contre cette L : VII, LE SOLEIL, 11 JUIN 1971