14 Le vendredi 4 juillet 1997 Matisse dans son studio, Nice 1952 u 26 juin au 9 octobre, le Van- couver Art Gallery présente Matisse Illustrates. Présentée pour la premiére fois en Amérique du Nord, exposition porte sur un aspect peu connu de la production artistique d’Henri Matisse : l’illustration de livres. Exhaustive en soit, l’expo- sition, composée du corpus in extenso des livres que Matisse a illustrés, présente plus de 80 plaques (lithographies et dessins) ayant été créées spécialement pour des fins de publication. Elle informe, ainsi, le visiteur de l’impor- tante contribution que Matisse a apportée a lévolution du « livre d’art » et au concept visuel du livre en général. Lorsque le visiteur entre dans lexposition, il est ac- cueilli par la bibliographie d’Henri Matisse. Ponctuée de ses oeuvres, |’ Histoire de sa vie permet de mesurer l’ampleur de son travail et ’évolution de sa recherche artistique. Né en 1869, & Le Cateau-Cambrésis (France), il mourut 4 Nice en 1954. Maitre du fauvisme, son oeuvre comporte dessins, col- lages, gravures, sculptures, vitraux. Il est représenté dans les musées du monde entier ; en France, deux musées lui sont consacrés, au Cateau et 2 Nice. « Dessiner avec des ciseaux », voila ce que Matisse fera de 1941 a 1944. Confiné a son lit, A la suite d’une opération pour le cancer, c’est alors qu’il pensera a Florilége des Amours de Ronsard, aux Poémes de Charles d’Orléans et A Jazz. De tous ceux que Matisse a écrits, Jazz est Pouvrage le plus connu. D’ailleurs, c’est & cet ouvrage qu’est consacrée la _ plus grande partie de |’exposition. Un livre cristallisant, pour Matisse, les « souvenirs des cirques de mon enfance, des contes populaires et des voyages ». Une oeuvre aux couleurs riches et pleines, qui utilise & la fois le pochoir et le collage. Jazz témoigne d’un souci d’exprimer « la joie de vivre et la liberté de Pimagination ». En poursuivant le tour de la galerie, on nous explique les différents moyens d’impression que Matisse utilisait pour créer ses illustrations (gravure sur métal, sur bois, sur linoléum, lithographie et pochoirs). On nous renseigne ensuite sur la fagon dont le département de conservation du musée a pu restaurer certains des livres illustrés par Matisse. Effacant ainsi les traces de décoloration et de moisissure. Et puis tour & tour, les livres se succédent, démontrant le Photo grand talent, la modestie et la précision de lartiste. En commengant par la_publi- cation de son premier livre Poésies (1932), Matisse illustra prés de treize livres écrits par de grands auteurs, deux furent publiés aprés sa mort. Pour chacun des livres, Matisse supervisa toutes les étapes de la production. Voici la liste des ouvrages auxquels il a participé et qui sont partie intégrante de l’exposition : Poésies de Stéphane Mallarmé (1932), Ulysses de James Joyce (1935), Pasiphaé, Chant de Minos (Les Crétois) de Henry de Montherlant (1944), Visages de Pierre Reverdy (1946), Lettres Portugaises de 3 Marianna Alcaforado (1947), Les Fleurs du mal de Charles Beaudelaire (1947), Repli d’André Rouyeyre (1947), Jazz : (1947), Florilége des Amours de Ronsard (1948) et Poémes de Charles d’Orléans (1950). Pour compléter la visite, on invite les gens A visionner un film de 40'‘minutes, réalisé par Perry Wolf, intitulé An Essay on Henri Matisse. Notons que sans ce film, qui relate tous les faits marquants de la vie d’Henri Matisse, les visiteurs, qui ne le connaissent pas, ne sauraient pas grand- chose de cet artiste complet, reconnu comme l’un des plus grands artistes modernes du XXe siécle. Bien que _ l’exposition démontre l’apport considé- rable de Matisse quant a Villustration, il n’en reste pas moins qu’elle ne rend pas justice a l’étendue de son oeuvre, bien plus compléte que ne le souligne le rendez-vous vancouverois. Cette derniére portant exclusivement sur une seule période, méme_proli- fique, de la vie de l’artiste. Ouverte au grand _ public, exposition s’adresse d’avan- tage aux connaisseurs. BRUNELLE-AMELIE BOURQUE La Seconda Volta NI NOIR uteur de plusieurs documentaires A tendance politique, le cinéaste italien Mimmo Calopresti choisit pour son premier film de fiction, La Seconda Volta (traduction libre : La Deuxiéme fois), une histoire simple en apparence mais qui révéle une profonde complexité. Alors qu'il est cadre administratif pour l’entreprise Fiat, _ Alberto Sajevo (le cinéaste et ’acteur Nanni Moretti, aussi le producteur du film) devient la victime d’un attentat terroriste. Une décennie plus tard, devenu professeur d’économie, Sajevo rencontre par hasard |’étudiante révolutionnaire Lisa Venturi (Valeria Bruni Tedeschi) qui, lors de l’attentat, lui avait tiré une balle dans la téte. Cette derniére, toujours en prison, jouit d’une libération conditionnelle qui lui permet de travailler le jour avec engagement de réintégrer sa cellule le soir. Avec cette rencontre, le film devient non seulement une exploration de la relation victime-bourreau mais aussi un regard sur I’échec idéologique révolutionnaire devant une Italie en proie a la corruption, A une crise inflationniste sévére et & une instabilité politique et sociale. Exécuté avec une grande rigueur intellectuelle, La Seconda Volta intégre harmonieusement poésie et documentaire. Le rythme lent et précis témoigne d’une méditation, d’un questionnement dont font preuve les protagonistes et l’auteur. L’eau agit ici comme une métaphore d’une vie dans laquelle Sajevo fonctionne, mais & laquelle il ne peut ou ne veut participer. De fait, il pratique l’aviron sur un appareil stationnaire, mais ne se décide jamais A quitter la terre ferme. Sajevo vit dans le doute constant, voire une ambivalence face aux petites et aux grandes choses de la vie. A Popposé, Venturi connait une surprenante sérénité, Si Sajevo cherche 4 comprendre l’idéologie qui a mené Venturi a faire un acte aussi extréme, celle-ci toutefois, semble vouloir poursuivre sa vie, qu’elle sait déja ruinée, sans regret et sans remords. Tournée dans un Turin automnal, gris et triste, cette histoire suscite des points d’interrogation. Ainsi, vers le début du film, Sajevo vante a sa classe les succés économiques de la firme Fiat, mais se voit obligé par un étudiant d’ajouter que ce succés est di en grande partie 4 la mise & pied de plus de la moitié des travailleurs de l’usine. Le cofit social en valait-il vraiment la chandelle ? I] semble que méme Sajevo n’en soit pas convaincu. Plus tard dans le film, Sajevo, choqué par une phrase lue dans un essai révolutionnaire : « Frapper un homme, c’est en éduquer cent autres », confronte Venturi en lui demandant si son attentat a vraiment éduqué autant de gens. Evidemment, les deux tombent en désaccord. La relation entre les deux protagonistes oscille entre l’amour, la haine, la revanche ou Pamitié. Malgré sa briéveté (le film dure environ 70 minutes), La Seconda Volta réussit 4 cerner le conflit de deux personnes aux idéaux opposés et qui sont aujourd’hui un peu désillusionnées dans une Italie contemporaine. Ce pays est-il en meilleure posture aujourd’hui qu’il ne *était il y a dix ans ? Ces conflits trouveront-ils une résolution ? Calopresti propose une fin ouverte qui prolonge ’ambiguité de ces questions (les réponses ne sont ni noir ni blanc) et qui confirme le souci de vérité du cinéaste. Car si la fin n’apporte pas une véritable satisfaction sur le plan dramatique, elle demeure cependant en parfaite harmonie avec le sentiment de vie, d’humanité que nous conférent Alberto Sajevo et Lisa Venturi. Le poéte E.E. Cummings avait déja écrit ; « Seuls les idéaux valent la peine d’étre défendus, le reste n’est que des effets secondaires ». : SYLVAIN AUMONT