. L’ AUTOMNE par Roger Dufrane Comment dépeindre 1’au- tomne 4 Stanley-Park? Les feuilles des arbres tombent sans hate, d’une chute lente et continue, modifiant sans cesse le coloris des allées et des pelouses. Le parc semble un magnifique théa- tre ot le soleil projette ses faisceaux. Pour reproduire un tel décor, le peintre prend sa palette. Sous son pinceau, la nature se fige, les sen- teurs s’éteignent et rien ne . vibre plus. Une fenétre ou- vrant sur un jardin 1’empor- tera toujours sur n’importe quelle peinture. Et 1’écri- vain, n’a-t-il pas 4 sa dis- position l’innombrable tré- sor des mots Symphonies de couleurs, dorures dia- phanes et poudreuses, loin- tains gris-perie et gorge- de-pigeon, métaphores’ de brocanteur soucieux de ven- dre ses toiles, qu’il est dif- ficile d’exprimer la somp- tuosité fugitive de Jl’au- tomne ! Qu’en pouvons-nous Nous ne sommes pas des dieux. Il faut beaucoup pardonner aux barbouilleurs de toile ou de papier. Ils s’efforcent de leur mieux, avec de la matié- re imparfaite, pate des hui- les colorées, pate des mots galvaudés, A fixer pour |’ avenir, 4 l’aide d’un pin- ceau ou d’une plume, les reflets du monde dans leurs yeux. Et voila que se dresse de- vant nous, le front encore perlé de rosée, les yeux luisants de soleil pale, se-- 2277 Wa v, b ¢ t f ‘¢ e [ REWTL couant sa rousse chevelure, une belle matinée d’octo- bre 4 Stanley-Park. Les au- tos circulent, tournent et se rangent dang le station- nement. Les portiéres cla- quent, les familles se dis- persent sous les hauts ar- bres. Ceux qui aiment se tremper dans un bazar de races et de visages, errent aux abords du kiosque 4 musique, du zoo, du parc aux totems. Les autres, les .romantiques- avides d’ou- blier un moment la ville et ses tumultes, s’enfoncent plus loin dans les sentiers. Eloignons-nous du zoo. Il passe trop de mélancolie dans les yeux des ours bruns qui tournent pesamment dans leur fosse ; et le vol mala- droit, blessé, des cormo- rans, ne leur rendra jamais leur liberté. Cherchons plus loin, dans les sentes et les clairiéres perdues, un restant de vie libre. Un arbre rejaillit du bossélement tourmenté d’ une souche, une frange de fougéres nous accompagne, un écureuil court sur un tronc de cédre et bondit dans les branches. Voici la mare aux castors verdie de nénu- phars. Des canards y barbo- tent. Leur plumage reste lisse aprés la plongée et leur col ondoyant et vert se prolonge d’un bec jaune. Ils se proménent en flottille. Non loin d’eux, un cygne blanc bat bruyamment des ailes et les disperse en coin- coins rouspéteurs- Sur le chemin 4 ciel ouvert qui nous raméne, un petit garcon, grosse téte étonnée, . cailloux disparaissent sous ‘reflétent toutes les dorures blouson 4 carreaux et panta-'| lon bouffant, surgit devant nous comme un bdcheron du pays des nains. Il me tire par la manche : ‘‘Have you seen my Mummy ’”’. Petit Poucet égaré, comment re- retrouvera-t-il sa route dans ce bois magique, otiles les feuilles qui s’amoncel- lent, et qui dans les -voies d’ombre piaille, susurre et chuinte, et vous menace avec les bras de branches et les grimaces d’écorce de ses gros arbres - Viens ! Nous allons te conduire 4 ta maman. L’enfant place dans la mienne sa_ petite main confiante et molle. Au Bu- reau des Enfants Perdus, je le passe par le guichet 4 l’assistante sociale. La jo-| lie fille me sourit. Ses yeux’ du parc. Que ne suis- je moi- méme un enfant perdu ! Je m’éloigne. Le gamin pleure. Mais tout rentre dans l’or- dre. Car voila la maman en blue-jeans, une feuille rou- ge piquée dans les cheveux, bohéme, encore émue et aux abois, qui emporte son reje- ton qui gambade. Stanley-Park le dimanche. Un vaste jardin aux portes de la ville, ot les saisons jouent tour 4 tour avec les bourgeons, les feuilles et les coeurs, une pépiniére de si- lence et de bruit, de rires et de larmes, et ot se dérou-]| - lent au soleil et 4 l’ombre. les drames infinis de la vie. COMMENT AIME L’ AUTRE MOITIE par Ladislas Kardos ; L ’ CEMB A mon avis, le titre aurait été mieux ‘‘How the other half lives’? car, sidans cette piéce il est beaucoup ques- tion d’adultére parmi les trois ménages en question, il n’y a que deux personnes, Madame Foster et M. Phil- lips qui ‘‘adultérent’’ unpeu, tandis que les quatre autres ne font qu’en parler, sans comprendre et sans savoir. Ils ne font que soupgonner: les innocents et créer ainsi des situations trés amusan- tes, qui permettent au public de passer une bonne soirée 4 rire. Voila de quoi il s’agit: la trés jolie Madame Foster et son mari, Anglais typi- que, intelligent mais trés lent et trés difficile 4 sor- tir de ses habitudes. Il est le patron des deux autres messieurs, Bob Phillips, 1’ amant de sa femme et Wil- liam Featherstone, employé Ssubalterne et petit bour- geois, respectueux de tout ce qui est au-dessus de lui et ‘en particulier de M. Foster. Un soir, Madame Foster rentre trés tard A la mai- son et comme par hasard, Bob Phillips, lui aussi, ren- tre trés tard. Nous le pu- blic, savons qu’ils ont passé la soirée ensemble, et nous -trouvons qu’ils auraient pu rentrer un peu plus tdt pour ie pas éveiller les soupgons de leurs époux respectifs. Mais ni Madame Phillips ni M. Foster ne le savent et acceptent une explication assez vaseuse. Bobne trouve pas mieux comme excuse que -ie dire qu’il a passé la soirée avec un certain Featherstone, qui travaille dans le méme immeuble et qui, aprés avoir bu lui au- rait fait des confidences au sujet de sa femme qui le trompe. Bobutilise Feather- stone comme alibi croyant que sa femme n’aurait ja- mais l’occasion de le ren- contrer. Il en informe Ma- dame Foster qui, pris 4 court, dit 4 son mari qu’elle a passé la soirée avec une certaine Madame Feather- stone qui lui aurait fait des confidences au sujet de son mari qui la trompe. D’imbroglio en imbroglio, les Featherstone qui igno- rent naturellement le rdle qu’ils avaient joué dans les explications des coupables paraissent. C’est un couple dévoué qui ne se détourne pas du droit chemin conjugal car elle est trop laide et lui trop timide. La seule qui se doute et qui sache en dehors des ‘‘adulté- rines’’ est Mme Phillips, qui suivant une premiére impul- sion, quitte son mari, mais aprés avoir passé par une deuxiéme impulsion, revient et lui pardonne. Le fait est que Bob est un beau garcon et qu’elle espére ou com- mence A combiner une re- vanche. Par contre, Foster avec son esprit méthodique et lent ne peut pas concevoir que sa femme puisse le tromper mais se rend 4 la fincompte quand méme que quelque chose cloche. C’est 4 ce mo- ment qu’il recoit un coup de téléphone de Mme Phillips et qu’il réalise, avec un pe- tit sourire qu’il y a quelque chose 4 faire. Du coup, il ne dit rien 4 sa femme, il lui pardonne en pensant 4 son tour que le chemin est ou- - vert pour une agréable pe- tite revanche avec Mme Phillips. L’auteur, Alan Ayckbourne a trés bien réussi 4 éviter tout ce qu’il y a de sérieux dans une telle situation. Ilne parle pas de la solitude de Mme Foster, mariée 4 un homme pédant et ennuyeux. Il ne mentionne pas non plus la vie monotone et pénible de la femme du petit em- ployé, enchafnée dans son intérieur pauvre A s’occu- per de son gosse. Il ne parle pas non plus de la vie étri- quée de couple Featherstone. Il ne fait que montrer l’ex- térieur absurde de la vie du petit bourgeois anglais. Heu- reusement, il le fait d’une fagon spirituelle et drdle. On rit et en ce sens Ayck- burn a brillamment réussi dans la tradition bien rddée d’un Noel Coward ou d’un Somerset Maugham. La mise en scéne est ex- cellente. Les deux ménages Foster et Phillips vivent dans deux maisons réunies sur la méme scéne. Ils s’en- trecroisent, mais ne se voient ni ne s’entendent. Au début, c’est assez difficile A comprendre, mais grace 4 la maftrise de Richard Ouzounian (le méme qui a mis en scéne Jacques Brel) on s’habitue trés vite et on suit sans difficulté les dia- logues paralléles qui font comme des ronds dans 1’eau, qui se croisent mais ne se mélent pas et continuent leurs cours, sans déranger les autres. Tous les acteurs sont ex- cellents. Paxton Whitehead est dans son élément. I] faut que le méme homme ait pu jouer le ‘‘Roi acteur’’ dans Rozenkrantz et Guilden- stern, alors que dans lerdle de Foster il est aussi insi- gnifiant, mais tellement na- turel. . Barbara J. Gordon, dans le rdle de Fiona Foster est bonne et trés jolie. Aunmo- ment, sans raison visible} elle met une robe trés décol- letée qui laisse plus que deviner sa trés belle gorge. Le public est content et je crois que Ouzounian lui a permis de montrer son joli décolleté pour faire com- prendre que son mari est tellement stupide qu’il nef s’en apercoit méme pas. Patricia Gage est char- mante. Au début, elle jouef . ‘trop, mais au cours de ial représentation, elle com- mence A vivre. Elle est jo- lie, espiégle, et fait croire le rdle qu’elle joue et qu est le rdle de beaucoup de femmes dans leur train- train quotidien. Greame Campbell dans le rdle d beau séducteur Bob Phil- lips, a mon gofttt, exagére un peue Owen Foran dans le rdle de William Feather- stone est excellent. Shirley; Broderick dans le rdle de Mary Featherstone joue son role avec: beaucoup de routine. Elle est toujours la méme. Je ne me rappelle pas pour le moment l’avoir vue dans un_ role plus} sérieux. Pourtant elle doit étre trés bonne, car c’est une actrice sérieuse, qui,. j’enj suis sfr, travaille dur pour faire ce qu’on lui dit de faire. Nous avons passé une bonne soirée et je riais encore avant de m’endormir, en pensant 4 cette piéce. faire un effort pour croire