4— Le Soleil de Colombie, vendredi 19 avril 1985 Carnet de festival Suite de la page 1 un sujet difficile dans “La déconfiture du Docteur Croche”: l'histoire de la pas- teurisation du lait. Et l’on a un peu de mal 4a rentrer dans ce récit compliqué et délicat dans lequel l’auteur et acteur joue a lui seul une dizaine de réles. Le soir, retour au cinéma pour un spectacle de chansons. L’endroit est un peu triste car le public n’est pas venu en nombre. “Dommage qu’on ne puisse pas déplacer les chaises, on aurait tous tenu sur la scéne” constate avec humour Suzanne Kennelly. Celle-ci ouvre la soirée avec son récital de chansons populaires. Ré- pertoire trés classique et tradi- tionnel dont ressort la reprise sur un rythme jazz de “Age tendre et téte de bois” de Gilbert Bécaud durant la- quelle la chanteuse et ses musiciens font passer beau- coup d’a4me, contribuant a animer peu 4a peu la salle en partie vide. Une animation qui sera totale pendant la _ seconde partie qui voit Gilles Gagnon proposer un spectacle rock trés fort ow il aborde tous les sytles avec une originalité certaine. Quelques cordes de guitare qui cassent au beau milieu d’un morceau ou une gorge irritée ne réussissent pas a briser son élan, d’autant qu'il est soutenu pour d’excellents accompa- gnateurs, Henri Budge a la guitare et Chantal Morin aux choeurs. A partir d’un théme " environnement. constant, les relations entre deux étres ou plusieurs, les variations sont multiples, sur- tout lorsque l’on joue a ce point avec les rythmes. La meilleure chanson du specta- cle, “Ménage 4 trois”, a réussi a me réconcilier avec le reggae. : eudi - changement de pro- grammation: “Timesteps” remplace “Les Bacherons” au dernier moment. Tant pis, et tant mieux car je suis une deuxiéme fois le voyage musi- cal et en découvre de nouveaux aspects. Ce jour-la, la salle d’exposition est encore mieux remplie que la veille avec prés de 300 enfants, plus agés, plus remuants mais aussi plus ré- ceptifs que ceux du mercredi. Ce public réagit mieux aux sollicitations des deux artistes et le spectacle n’en est que plus vivant. On retrouve ensuite le théa- tre des Confettis et son “Voyage de petit morceau”, Vhistoire d’un petit morceau bleu qui part a la recherche du plus gros morceau auquel il croit appartenir, avant de découvrir qu'il n’appartient qu’a lui méme. C’est l’occasion de découvrir un effort de recherche visuelle intéressant et une utilisation intelligente d’éléments simples qui compo- sent une forét, une montagne ou la mer. Les deux actrices, a avec quelques morceaux de bois et des rubans de couleur parviennent a créer tout un Mais quel- 3 ee L’un des échassiers chargés d’animer les entractes. ques longueurs et un rythme parfois absent nuisent a l’inté- rét de la piéce et distraient l’attention des spectateurs. Le jeudi soir, le festival se déplace du Robson Square Media Centre vers les locaux du Centre culturel colombien et l’on y retrouve une am- biance plus intime. Cette “Soirée chez le poéte”, en- tamée trés (trop) doucement avec le guitariste Thomas Michaud, trouve tout son sens dés l’apparition de Simone Goguen. Devant un auditoire déja tout acquis, elle propose un récital au cours duquel sa présence sur scéne et sa chaleur prennent toute leur mesure, d’autant que ses musi- ciens, le pianiste en particu- lier, la soutiennent parfaite- ment. Et lorsqu’elle interpréte en rappel le “Travailler, c’est trop dur’ de dZacchary Richard, la complicité entre l’artiste et son public est totale.. Vendredi - Derniére journée de théatre pour enfants au- jourd’hui, les spectateurs sont encore un peu plus vieux, plus agités et plus difficiles a contréler. Dans la salle de théatre du Robson Square, Gilbert Parent et Jean-Yves Ranseau, “Les Biuicherons’”, doivent déployer toute leur énergie pour s'imposer. Ils font participer tout le monde, de la voix et du geste, et les cuilléres en bois distribuées a l’entrée contribuent a chauffer un peu plus l’atmosphére. Les deux bacherons, grace a la variété de leurs numéros (chansons, instrumentaux, duel de cuil- léres ou danses) finissent par gagner leur pari. Le méme jour, nouvelle “Soirée chez le poéte” suivie d’une féte tardive et animée. (Je n’y étais pas mais on m’a raconté) . Samedi - La partie spectacles du festival francophone 1985 touche a sa fin. Ce soir, le rendez-vous est fixé a la Paroisse St-Sacrement ot les Danseurs du Pacifique propo- sent la chorégraphie qu’ils vont bientét présenter en Italie et en France. Avec dyna- misme, ils retracent l’histoire du Canada au travers de ballets parfaitement réglés. Le public’ est acquis d’avance et suit avec plaisir les €volutions des dan- seurs avant de mettre lui méme le pied a la pate et de rejoindre toute la troupe sur la scéne, Le métier de spectateur n'est pas de tout repos, lui non plus. Mais je m’étais lachement éclipsé, car j'avais une bonne excuse: un article a écrire. Le Soleil ouvre plus tét Le 29 avril le Soleil de Colombie com- mence son horaire d’été. Nos bureaux ouvriront a 8h du matin et fermeront & quatre heures de Yaprés-midi. Mondanités La plupart des hommes, arrivés 4 un certain 4ge, craignent et haissent la vieil- lesse. C’est pourquoi la plupart vieillissent mal et meurent avant le temps. . G. Papini Il y a deux buts dans la vie: obtenir d’abord ce que l'on désire, ensuite en jouir. Les sages seuls atteignent le second. Smith Les lecons du Chef Suite de la page 1 Cette école, pas comme les autres, la seule sur la céte du nord-ouest du Pacifique, féte ce mois-ci ses deux ans. Au début Pierre Dubrulle en avait fait une école destinée au public. “Javais regardé au- tour, il n’y avait pas de classes de participation dirigées et enseignées par des profession- nels pour le public.” Il se dirige alors vers celui-ci. Mais l’en- thousiasme du public n'est pas la, or il est chez ceux qui veulent en faire un métier. Pierre choisit donc de monter des cours pour professionnels. Il commence avec douze éléves qui suivront un an de cours “Trop long” Alors cette année, en mars dernier, l’école culi- naire Pierre Dubrulle recom- mence avec dix-sept éléves pour vingt-quatre semaines et ur un montant de 7,200 dollars (60$ par jour) “un peu plus cher que les colléges de la ville” mais aucune comparai- son, question qualité et les douze derniers étudiants de Pierre ont tous trouvé un emploi a la fin de leurs classes. Ceux qui les suivent actuelle- ment ont des filons; l’une sera prise chez “Laroque” a Surrey, quelques-uns au Méridien... Aucune comparaison aussi avec le sérieux dans le choix des éléves: “je fais subir 4 mes futurs éléves trois interroga- toires, ils ont bien été avertis qu’étre cuisinier ce n’est pas des vacances, c’est la chaleur, les casseroles lourdes, la toque...” Et sur quarante demandes en mars dernier il en choisit dix-sept. Il est méme plus sévére avec ceux (ily ena douze)pourlesquelsleMinistére Emploi et Immigration a payé la totalité du cours. Pierre Dubrulle ne rigole pas — “Malade? l’éléve doit me four- nir un certificat médical”. - Divisée en 6 Mais ne croyez surtout pas que l’école est austére, ennu- yeuse et que Pierre est un dragon. Décorée avec goit, trés vaste, la cuisine est divisée en stations ow les éléves tra- vaillent en harmonie et allé- grement. “C’est un bon prof me dit Nadine, née Lachance, montréalaise qui n’a eu aucun probléme a prononcer tous ces mots francais de cuisine, les autres c’est autre chose. — La cuisine est divisée en stx stations, la premteére avec trots éléves, s’occupe des livraisons, du congélateur, de l’entrée du menu, la seconde et la trotsiéme font le plat prin- ctpal. La stxtéme a la respon- sabilité du pain, du dessert et du jardin d’herbes. La quatre et la cing fournissent les serveurs; parce que vous, pu- blic, pouvez gotiter la cutsine faite par ces éléves. Tous les jours de la semaine, [sauf samedi et dimanche] moyen- nant hutt dollars \%, vous pouvez venir prendre votre repas de midi fait et servi par ces éléves. “Ils apprennent ainsi comment servir, com- ment conseiller les vins,... comment prononcer le menu en frangats”. Ce dernier est unique et change tous les jours, tl se compose d’un entrée, d’un plat principal, d’un dessert, le pain étant cutt ici tous lesjours, café ou thé, le vin est en plus. St vous étes intéressé, je vous conseille d’essayer, vous devez réserver avant midi, le repas étant servt de midi et demie a une heure. A dix heures, la station deux coupe une épaule de veau pour en faire un fond qui va muoter tout le week-end, la deux s'est occupée du cog qui marine dans son vin. “Regar- dez dit Pierre sentez le persil tl sent le foin, il est trop vieux c'est ce qui arrive quand on en coupe trop.. la vrate vinaigret- te c'est du vinaigre, de U’hutle, du sel et du potvre”. ajoute Pierre qui regarde ce que font les deux éléves de la station trois. Un coup d’oeil dans le frigidaire lui donne une idée de ce que sera l’entrée: le saumon d’hier. Les choux rouges commencent a s'abimer Cutssez-les cela va arréter le processus de détérioration. Quelques crépes restent du menu d'hier ‘Je veux que deux éléves en fassent quelque chose. Fattes ce que vous voulez, une entrée, un des- sert”. Ces quelques crépes ne seront pas offertes au public, mats jen mangerat une four- rée aux fruits de mer. “Une macédoine ? savez-vous ce que c'est ?” demande Prerre. Et il explique. Aidé de Fritz Maier, son assistant, lut ausst ancien chef cutsinter, Pierre donne des conseils.... Des Cogs avec un verre de vin > Pierre Dubrulle, qui vient de se faire l’introniser “Compa- gnon du Beaujolais” fait partie de ces quelques pionniers francais qui sont ala base de la gastronomie a Vancouver. De- puis 1971, il a vu cette ville se transformer pour devenir un centre convenable.Mais can’a pas toujours été de méme. Il y a vingt cing ans, il était venu a Vancouver et n’avait pas aimé du tout ce qui s’y passait dans les cuisines. “On m’avait de- mandé de faire quatre cogs au vin avec un verre de vin.” Il retourne en France pour polir son apprentissage avec le mé- me patron qu'il avait dans le restaurant de l’aéroport de Lille dans le nord dela France. Aprés il revient 4 Vancouver et s'y établit définitivement. I] travaille alors dans l’un des seuls restaurants la “Céte d'Azur”, puis au “Cannery”; il retourne a la “Céte”. Puis, il ouvre en 1973 la premiére ‘“poissonnerie-trai- teur” de Vancouver, elle s’ap- pelle “La bouillabaisse”. Deux ans plus tard, il inaugure encore en ouvrant le premier restaurant pas cher et sympa , “Je Couscous”. A cette €poque- la, a part le William Tell, la Céte d’Azur, le Cannery, les restaurants d’hétel et les White Spot, iln’y avait rien, le désert. “Le Couscous marchait trés bien, je me souviens d’y avoir servi un jour 120 clients au repas de midi et 192le soir pour un endroit qui contenait 44 places! Les clients faisaient la queue sur le trottoir rue Robson.” Et déja une école de cuisine lui trottait dans la téte; il transforme donc sa Bouilla- baisse en cours du soir en y faisant de la démonstration de cuisine et en faisant goater les participants. La encore, une inauguration pour Vancouver. “Aprés des vacances meéri- tées, j'ai pris une décision: ouvrir dans un centre com- mercial de Coquitlam un comptoir de cuisine francaise vite faite: “Bon Appétit”. “Au lieu de hamburgers, on pou- vait partir avec une quiche ou une crépe. Marrant comme expérience, mais comment peut-on rivaliser avec les ham- burgers et les hot-dogs?” Aprés ces péripéties dans la cuisine-minute, il s’associe avec Jean-Luc Bertrand l’autre Francais de Lille qui vient de se faire _introniser Compagnon du Beaujolais. _avait gardé, “Jean-Luc était serveur au “Cannery”, alors que ce der- nier était en gréye, je suis allé voir Jean-Luc qui était devant le restaurant en train de piqueter. Je lui ai apporté un café et c’est 14 que nous nous sommes associés’’. Le Gavroche naitra en 1981: un restaurant de qualité, avec une excellente cuisine francaise, un service impeccable “On se complétait merveilleusement, lui dans la salle et moi dans les cuisines.” Deux ans aprés Pierre Dubrulle vend ses parts, son comptoir-minute qu'il il prend ses enfants, son €pouse et entre- prend un tour du monde. En regardant un peu partout, Australie, Europe... “C’est a Vancouver qu'on est le mieux, il revient au pays il y a maintenant trois ans, et il pense. “J’y avais pensé aupa- ravant a cette école mais ‘Vancouver n’était pas préte.” Avec Diana Backer, son associée dans “Le Couscous”, qui cherchait elle aussi 4 ouvrir quelque chose, Pierre ouvre enfin son école il y a deux ans, aprés y avoir fait des répara- tions, des décorations et dé- pensé 120,000 dollars. A midi on satt qu'il y aura six clients. Le ballet des éléves a repris aprés quelques minutes de répit pour écouter Pierre et Fritz expliquer qu'on auratt pu flamber le coq a _ Eau de vie, que la recette du cog au win peut s'appliquer a celle du boeuf bourgutgnon, quel vin choitsir, un qui a du corps. Le patn est dans le four. Midi et demie arrive, lesclients ausst. Vidéoetlivre — Mais l’école est-elle rentable? “non, nous retombons sur nos pattes, mais ce sont les avenues autour qui vont le devenir:’Les vidéos de trente minutes sur comment faire un repas gour- met pour quatre personnes pour moins de vingt dollars avec des recettes d'ici; et puis le livre que Pierre est en train d’écrire qui sera fini en juin. Ce livre s'appellera Pierre Dubrulle “Le grand chef ca- nadien de France” et expli- quera cent vingt recettes, avec des renseignements sur les herbes, les épices, les salades, les vinaigrettes, etc.. Desrecet- tes de la céte ouest avec des produits bien de chez nous. “Je pense le traduire en francais - pour le marché québécois, je cherche donc quelqu’un pour en faire la traduction.” Et pour que les recettes soient faisables par tout le monde, Pierre les a remis entre les mains de sa femme de ménage qui les a toutes essayées et qui note ce qui ne va pas. et on réécrit la recette.” L'inspira- tion pour ces recettes lui vient de partout. “Un jour je suis allé avec des copains 4 la péchesur l'ile Galiano, on a ramené un crabe, un saumon,... J'ai alors inventé une recette; quand je suis allé A Tofino, j’ai fait la méme chose j’avais du Pernod, jen ai mis dans la casserole... Jai aussi découvert ce qu’- étaient des ormeaux (abelone en anglais) j'ai adapté une soupe que j'ai appelée Sarah Bernhardt, j’y ai mis des truffes parce que cette comé- dienne dont je suis amoureux était toujours en noir.” Plus tard, Pierre Dubrulle espére bien donner.a son école d'autres ramifications comme une école de patisserie, une de charcuterie... Le prochain cours pour professionnels recommencera le 3 septembre prochain, , L’école est située au 1522 sur la 8éme avenue ouest, Tél: 738-3155.