Chémage Outils de forage minier et caoutchoue synthétique, auto- mobiles et tabac, nickel et batons de crosse, chaussures et gapier-journal. Qu’est-ce que toutes ces industries peu- vent bien avoir en commun? Les mises a pied, qui se reflétent dans les statistiques canadiennes de chomage. Selon une enquéte réalisée par la Presse canadienne, les mises a pied, temporaires ou permanentes, frappent une bonne proportion des indus- tries du pays. Aucune entreprise n’en est exemptée du fait de son im- portance. Certaines mesures de mises a pied touchent 2.000 travailleurs, d’autres n’en frappent qu’une dou- zaine. Les motifs invoqués sont tout aussi divers: con- currence étrangére, augmen- tation des colts de main- d’oeuvre et surtaxe ameéri- caine. Les récentes statistiques montrent que le taux du chd- mage au Canada, compte tenu du ralentissement d’hi- ver et du travail étudiant d'été, s’établit 4 6.5 p.c. de la main-d'oeuvre. En aout, il y avait au pays 455,000 chémeurs, au lieu de 514,000 un mois plus tét, mais tout de méme beaucoup plus qu’en aofit 1970, alors qu'on en comptait 448,000. Grandes entreprises Les mises a pied les plus importantes annoncées depuis le milieu de lannée ou pré- vues pour un avenir prochain mettront en chémage 2,000 employés de General Motors en Ontario et au Québec; 650 employés de la Domtar a Trois-Riviéres et 1,200 envi- ron au Toronto Telegram qui interrompt sa publication. GM a annoncé son inten- tion de mettre a pied 1,350 travailleurs a Oshawa, Wind- sor, St-Catharines et Scarbo- rough et 570 a Sainte-Thé- ’ rése, au Québec, dés le ler novembre. La raison invo- quée: la concurrence étran- gére, surtout de la part des Japonais. one Domtar prévoit d’interrom- pre sa production de papier- journal a Trois-Riviéres au début de 1972, ce qui tou- chera de 650 a 1,040 em- ployés. La compagnie aurait perdu $3 millions pendant les 18 derniers mois & cause du flottement du dollar cana- dien, de laugmentation de ses cotits et d’une baisse de la demande du produit. Quant au Telegram, il a donné comme motif une perte d'argent qui remonte deja a quelque temps. Le journal n’a pas annoncé la | date de sa derniére livraison. Ailleurs, de plus petites en- treprises ont pris des déci- sions semblables. A travers le pays, on retrouve les mémes circonstances: Bowaters Newfoundland a Vintention d’arréter indéfini- ment sa production de papier a Corner Brook au Jer no- vembre a cause de problé- mes de marché: 350 em- ployés des moulins et de 600 a 900 bicherons seront tou- ches. Les Maritimes Au Nouveau-Brunswick, la réduction du marché pour les pates et papier a frappé l'industrie forestiére. Le mou- lin St-Anne-Nackawic Pulp and Paper, 4 Nackawic, a fermé son usine de fabrication de papier en septembre, laissant 350 hommes temporairement sans emploi et 30 chémeurs permanents. A la fermeture d'une autre de ses divisions, en juin, la compagnie perdra 43 autres travailleurs. Mac- Millan — Rothesay Ltd., a Saint-Jean, et Fraser Compa- gnies a Atholville, ont prévu des _ réductions d’effectifs pour des échéances diverses, qui mettront a pied de 150a 400 travailleurs. Brunswick Mining and Smelting a fermé un de ses ‘moulins en septembre-octo- bre, réduisant 85 travailleurs ‘au chémage. . On observe d’autres ferme- tures au Nouveau-Brunswick, chez Scott Maritimes, Acadia Fisheries et Cardinal Protein, qui créeront environ 700 nou- veaux chomeurs. Le Québec Au Québec, la Canadian In- Sersoll-Rand de Sherbrooke, a annoncé la fermeture de sa fonderie d'ici a la fin de l’an- née: de 60 a 70 mises a pied. Le syndicat affirme de son coté .que cette mesure tou- chera 300 travailleurs. Deux usines de produits du bois ont fermé leurs portes dans la région de Mont-Lau- Tier, invoquant des difficultés d’investissement: 140 travail- leurs ont été mis a pied. De son cété, Alcan a an- noncé une réduction de sa production d’aluminium de Yordre de 60,000 tonnes par an. Cette réduction touchera des usines québécoises dont. le nom n’a pas encore été di- vulgue et signifiera la perte de 300 emplois. L’Ontario A Orillia, Ontario, Boyles Industries, qui fabrique de Youtillage de forage minier, a congédié 112 travailleurs. Sperry Rand Canada, division Univac, a renvoyé-60 em- ployés, affirmant que ses prévisions d’accroissement du chiffre d’affaires ne s’étaient pas réalisées. Power Supermarkets et Busy Bee Discount Foods ont réduit leurs effectifs de 40 personnes, invoquant la guerre des prix et la hausse des cofits de main-d’oeuvre. Au total dans ces deux entre- prises, on compte 200 ché- meurs . depuis Ie début de l'année. Polymer Corp. a Sarnia, soulignant la concurrence ja- ponaise dans la commerciali- sation du caoutchouc synthé- tique, a congédié 60 travail- leurs. 200 employés subiront ‘au moins temporairement le méme sort en février ou — mars aux usines Imasco a Delhi. : International Nickel of Ca- nada a remercié une cin- quantaine d’employés de son Service central de mécanique a Toronto 4 cause d’un ralen- tissement de la demande du nickel. Autres mises a pied chez Heywood-Wakefield a Orillia, chez Dominion Road Machi- nery a Goderich, chez Sa- vage Shoes a Galt, pour un total d’environ 260 travail- | leurs. | | | | La_ region de Cornwall, celle qui subit le taux de chd- mage le plus élevé de tout l'Ontario, a été frappée par de nombreuses mesures analo- gues depuis quelque temps et a» di augmenter d’environ 360 noms’sa liste de chémeurs. | L’Ouest Au Manitoba, Continental Insurance a_ T'intention de congédier 40 employés 4 Win- nipeg, invoquant une baisse — de ses primes d’assurance au profit du régime gouverne- mental. Mémes constatations en Co- lombie-Britannique, ot |’in- dustrie forestiére a été la plus durement touchée. Tah- sis Co. a congédié 360 tra- 'vaille‘urs en fermant son ' moulin de Gold River. Cana- dian Forest Products en a fait autant a Pert Mellon, lais- — sant 450 employes sur le pave. MacMillan Bloede! a éliminé une e€quipe sur trois dans ses effectifs de travailleurs fores- tiers et congédiera 60 trayail- | leurs 4 Powell River d'ici a | la fin de l'année. Les mises a pied effectuées ailleurs dans la province tou- cheront un nombre encore in- déterminé de travailleurs. Lindustrie par André CHENIER “L'industrie eura-t-elle ja- mais un futur au Québec’? Telle était hier la question a debattre a un colloque de la faculté d’études en adminis- tration de l’université McGill mais, avec des conférenciers comme Rene Lévesque et Eric Kierans, il était inévita- bie qu’on oblique vers des questions comme lindépen- dance du Québec, Vintegra- lion aux Wiats-Unis, le natio- nalisme économique canadien dans un nouveau fédéralisme. Pour donner la réplique a MM. Lévesque et Kierans, deux experis en administra- tion: M. Michel Cloutier, vi- ce-president de Bombardier ef ancien doyen de la Fa- culté d’études en administra- lion de luniversité de Sher- brooke, et M. Howard Ross, doyen actuel de la faculté d'études en administration de McGill, M. Cloutier a été le seul des quatre conférenciers a li- miter la discussion au sujet proposé: J’industrie, le Qué- bec, V’avenir industriel de la province. Et sa réponse a été un “oui” fonde sur le pro- grés qualitatif de la main-d’oeuvre et de la tech- nologie dans la province de- puis une dizaine d’années. “Nos universités, a-t-il dit, ne se limitent plus a ensei- gner la comptabilité: elles forment de plus en plus de diplomés des sciences admi- nistratives et techni- ques... Nous acquérons de plus en plus le know-how qui hous faisait autrefois défaut, en meme temps que la main-d’oeuvre augmente sen- siblement. Cela nous permet- tra de créer de nouveaux produits, de découvrir de nouvelles méthodes, de trou- ver de nouveaux marchés, tout ce qui est essentiel ala ’ croissance €conomique”’. Par ailleurs, a noté M. Cloutier, nos gouvernements dépensent toujours davantage pour nous doter d’instru- ments de croissance, comme le Centre de recherche indus- trielle. La troisieme dimension Il restera, a conclu Ie con- ferencier, a juger dans quel Sens s’orientera cette troi- siéme dimension que nous connaissons aujourd’hui: le changement entraine une éco- nomie en vase clos... M. Lévesque a également répondu “oui” a l’avenir in- dustriel du Québee a trois conditions: tout d’abord, que la population soit en tout temps sincérement et parfai tement renseignée de et sur tous les grands événements économiques auxquels elle assiste quotidiennement, en un mot qu’il y ait un bras- Sage général d’idées et ‘que la democratie s’applique éga- lement a la vie économique”’. Deuxiémement, que chacun- sache ou il va et trouve le courage d’agir...que ce soit individuellement ou, de préfé- rence, dans, une collectivité, une entreprise mixte, ou autre. : “Je serais bien étonné, a-t- il dit, que nous ne puissions exploiter collectivement chez nous les vyastes concessions forestiéres accordées par mil- liers. Et nous pourrions méme avoir des produits finis bien a nous...ne serait- ce que des cintres faits d'un morceau de bois et d’un cro- chet de fil de fer’... Enfin, a souligné M. Léves- que, il y a les possibilités de financement. “Nous n’avons pas sufti- samment d’argent, c’est sur, a-t-il dit, mais on en gaspille beaucoup. Ca me stupéfie de voir qu’on ait pu offrir $21 millions en subventions a une compagnie comme ITT, avant méme qu’un seul em- ploi soit créé, alors qu’on n’a pu trouver la moitié de cette somme pour permettre a So- gefor de survivre ! Rapatrier. les capitaux “Et, a poursuivi M. Léves- que, nous pourrions rapatrier quantité de capitaux inutili- ses dans notre circuit finan- cier. La Caisse de deépdt pourrait jouer un réle utile la-dedans”’. M. Kierans, pour sa part, a soutenu. que tant va le pro- grés économique du Canada, ‘tant va celui du Québec. Réaffirmant sa thése que nous devons capturer notre veritable identité économique en nous lancant résolument dans une industrie secondaire créatrice d’emplois, M. Kie- rans a rejeté carrément la these de T'intégration aux Etats-Unis. “L’intégration, a-t-il dit, signifierait une baisse de notre standard de | vie puisque nous ne saurions espérer atteindre a celui des Etats américains les plus ri- ches. “Par ailleurs, nous devons aviter de nous lier trop étroi- tement a un pays qui, de date récente, a connu trois fortes déceptions...dont l’in- tensité serait encore accen- tuée ici. “Les Américains, a-t-f] dit, se sont rendus compte qu’er dépit de leur puissance éco- nomique ils ne sont plus aussi efficaces que les Japo- nais, ou Jes Canadiens. Ils se sont expulsés eux-mémes des marchés mondiaux. Les Amé- ‘icains se sont aussi rendus zompte que leur technologie wancée n’a pas été” aussi yofitable qu’ils l’espéraient. {ls croyaient pouvoir laisser aux pays sous-développés des industrics primaires comme les textiles, Ja chaussure, |’a- gricullure, mais le chomage les a forcés a protéger ces industries. Les Américains, enfin, s’aper¢oivent qu’ils sont de plus en plus isolés: on critique leur politique étrangére, leur aide finan- ciere a l’étranger, etc... C’est aussi dangereux pour nous — que pour eux”, M. Kierans s'est aussi dil davis que, depuis peu, en raison de changements {is- Caux, “c’est le début de la fin” pour les sociétés mulli- nationales. “En conclusion, a-t-il dit, pour demeurer une puissance mondiale, les USA sont obli- gés de dépenser sans comp- ter dans des entreprises qui napportent rien a leur écono- mie interne et qui, en fin de compte, ne peuvent satisfaire ; aux besoins du consomnia- teur> Le dernier des conféren- — ciers, M. Ross, a souligne qu’en depit de grands pro- gres techniques, ces dernic- res annees, |’avenir industriel du Québec restait douteux a ne considérer que le bilan du chomage, de la pollution, de la mainmise étrangére et di- vers facteurs imprévisibles. “Mais, a-t-il ajouté, il y a des raisons d’espérer. En quelques siécles, nous som- Mes devenus un peuple de— 21,000,000 et notre niveau de vie en est un des plus élevés au monde. D’une colonic, nous sommes devenus un pays independant sans une seule révolutiun et sans avoir eu a briser nos liens avec le Commonwealth. “Le separatisme est peut étre une solution mais, quant a moi, je doute que ce soil la bonne”’. LE SOLEIL, 8 OCTOBRE 1971, XI