aes —————E =" Je ne raffole pas delatélé-— vision. Au début, j’attendais de cette invention, qui dé- verse le monde dans nos demeures, des merveilles. J’avais espéré deux bien- faits : le premier, que la télévision aurait transmis les images des événements au moment oi ils se passent ; le second, que des experts, dans chaque pays, auraient été préposés 4 trier pour le public des films de bon goat. Ces avantages exis- tent en puissance et sont peu exploités. Malgré ce désenchante- ment, le soir du 15 juillet dernier, je me suis laissé tenter. On allait donner, a onze heures quarante-cinq, au ‘*Canal 2’’, un film fran- eais: de 1962, “¢Climats”’, d’aprés le roman d’André Maurois, et interprété par Marina Vlady. On connaft l’intrigue de cette oeuvre pénétrante. Un homme idéa- liste aime passionnément une femme coquette, d’une divine beauté et qui letrom- pe. L’infidéle disparue, le héros @pouse une femme cal- — me et rangée. Or, progressi- vement, il devient aussi vo- lage que sa premiére é€pouse dont le souvenir le tient ; et il tourmente par son incons- tance la seconde. L’oeuvre se présente comme un dyp- tique : journal de Philippe, le héros ; journal d’Isabelle, sa seconde femme. Les deux parties du roman s’opposent et se complétent comme deux antithéses. Qu’est-ce que cela donne sur l’écran ? Eh bien, je ne fus pas décu! Mais ce que j’ai vu, ce n’est pas. l’oeuvre de Mau- rois. Car tout film inspiré d’un roman, malgré les ef- forts de fidélité au texte, s’en éloigne. La raison en est simple. Le livre démon- tre ; le film montre. Et com- ment illustrer sur l’écran ce qui se passe au tréfonds de l’A4me des personnages, d’autant qu’on ne peut, au risque d’ennuyer, placer 4 l’avant-plan deux comparses qui s’expliqueraient sans tréve 7? Le metteur en scéne recourt 4 un biais : ilinven- te des actions en marge du texte afin de suggérer ce qu’il ne peut narrer. Odile aime le plaisir ; Philippe non. Et le metteur en scéne invente ceci: le ma- ri et la femme sortent avec un autre couple 4 la foire. Philippe, au cOdté d’une au- tre femme dans les autos tamponneuses, observe 4 la dérobée son épouse qui s’a- muse follement en compa- gnie d’un autre homme. La jalousie le mord. Il éprouve, dirait-on, une prémonition que cet homme causera le drame de sa vie. Et en effet, celui-ci, Frangois de Crozant, va devenir l’amant d’Odile. De telles libertés a l’egard du roman restent dans le méme esprit et s’ excusent. Il en est d’autres, moins légitimes. Ainsi, le roman d’André Maurois re- trace une vie. Le film n’en évoque que des épisodes. D’ot suppression de person- nages pittoresques et appau- vrissement. D’autre part, en évoquant l’enfance et la jeu- nesse du héros, Maurois prépare le lecteur 4 ses agissements futurs. On sai- sit bien chez Maurois 1’édu- cation différente, source de désaccord, qui pése sur les deux personnages princi- paux : Odile élevée dans un milieu bohéme ; Philippe dans un milieu provincial. Le film, qui jette brutale- ment le spectateur au début ty de la trahison d’Odile, rend moins plausible la tendance 4 Jl’infidélité qui entrafe la jeune femme. Quant au décalage dans le temps, il ne choque pas. Le roman se déroule vers 1920, le film A notre épo- que. Nombre de belles pri- ses de vue mettent en re- lief les perspectives du Lou- vre ou de la Seine. Et d’ail- leurs, comment filmer dans le Paris de 1960 celui de 1920 ? Malgré les entorses, le sens profond du théme de Maurois subsiste : les ris- ques de l’amour sentimental.) Les personnages du film ré- pondent fidélement 4 ceux du roman : une Odile aérienne en robe blanche ; un Philippe sérieux en costume sombre ; une Isabelle douce et rési- gnée. Odile reste aussi mys- térieuse 41l’écranque dans le livre : trompe-t-elle Phi- lippe par appel de la chair? ou par amour du plaisir, elle qui présageait sa mort prochaine / Une grave critique pour terminer. Si le film est so- bre et beau, si les interpré- tes jouent avec maftrise, le doublage dé¢ oit profondé- ment. Des personnages férus d’art et de littérature, des Frangais cultivés, par- lent ici un anglais sec et plat. Il est choquant d’en- tendre Philippe Marcenat, si élégant d’allure, proférer des ‘‘thanks a million!’? et des ‘‘I guess so!’’, et je he puis me défendre de pen- ser, avec ironie, que sinous étions tous bilingues, le pro- bléme, dans le cas des films frangais, ne se poserait plus. Isadora ! par Jennifer Lulham. I-SA-DO-RA ! I-SA-DO-RA ! Danseuse révolutionnaire et femme émancipée, elle ins- pira des poétes, des pein- tres et des hommes de thé- atre par son art, tout en scandalisant la bourgeoisie par sa vie privée. Née en Amérique en 1878, elle poursuivit ses idées ori- ginales de la danse qui ne de- vaient rien aux formalités du ballet ni aux vulgarités du music hall. Isadora Duncan s’inspirait de la cul- ture grecque ; elle tradui- sait des fresques antiques en mouvement et, s’habil- lant des tenues drapées lé- géres, elle dansait pieds nus. Puisqu’elle croyait que la danse était la vie, elle cher- chait le rythme fondamental des vagues, des plantes et du vent. Elle ne dansait pas sur la musique, mais en expri- mant le sens de la musique. Fortement impression- née par Isadora, le choré- graphe Michel Fokine com- men¢a 4 créer des ballets expressifs, tranchant ainsi avec la tyrannie des ballets **techniques”’ : il créa ‘*Les Sylphides’’, ‘‘Danses Polov- tsiennes’’, ‘‘Carnaval’’, etc. En Europe, Isadora fut vite acclamée et 1’on donna son nom 4 des parfums, des ro- bes, des coiffures et des écharpes, ‘‘A la Duncan’’, **& VIsadora’’. Aujourd’hui, son nom est peu connu hors des cercles de danse. Dans le film ‘‘The loves of Isadora’’, elle revit sous les traits de l’actrice Va- nessa Redgrave et nous re- voyons la grace de sa danse interprétative, son succés et sa tragédie. Avec une beauté naturelle et des mou- carne parfaitement la dan- seuse. Isadora est aussi incons- tante et immuable que la mer ; cette enfant de nature se moque des lois de la so- ciété. Elle ne croit pas au mariage (Vanessa non plus, paraft-il) elle dit qu’il n’est pas nécessaire de fi- ger l’amour dans un con- trat. Sa mére est trés mal- heureuse lorsqu’Isadora se trouve enceinte, aprés une fugue avec le dessinateur de théatre, Gordon Craig. | Insouciante, elle gambade ' dans les vagues, faisant des | projets pour son retour au théatre. vements déliés, Vanessa in- Plus tard, Isadora devient la maftresse du milliardaire Singer ‘‘Monsieur Machine a Coudre’’(interprété avec au- torité par Jason Robards), qui comble son réve le plus cher : il lui offre une magni- fique propriété ot elle peut enseigner la danse dans la nature, contre un décor de statues, fontaines et jardins 4 la francaise. Ici, des pe- tites filles dansent joyeuse- ment, en plein air, autour d’une Isadora radieuse. Pourtant, elle s’ennuie ; elle veut redanser. Malgré l?’adorable petit garcon Patrick, que Singer et Isadora ont eu, les cho- ses se gAtent, et elle laisse le bébé et sa fille Deirdre, pour partir en tournée. La Russie. L’Ame slave est en harmonie avec Isadora et sa danse libératrice. En tunique. écarlate, elle danse pour les soldats rus- ses qui l’applaudissent en scandant son nom : I-sa-do- ra ! Les lumiéres s’éteignent et on lui apporte une lan- terne ; comme une pré- tresse, elle tient haut la flamme, pendant que les sol- dats commencent 4 chanter la mélodie entrafante de ‘*Kalinka’’. Petit 4 petit, des soldats montent sur lascéne et dansent autour d’elle, l’?emportant 4 la fin. C’était beau et sincére. La photo-, graphie a su montrer, sans truquages, l’amour que res- sentent ces gens pour la mu- sique et la danse. Mais, alors qu’Isadora est de retour 4 Paris, survient un tragique accident qui ob- scurcira tout le restant de sa vie. Ses deux adorables enfants, Deirdre et Patrick meurent noyés, dans une au- tomobile qui avait plongé dans la Seine. Ici, le film ne respectait pas les faits : on voit la voiture tomber d’un pont, alors qu’en réa- lité, les freins ayant laché, la voiture avait descendu en marche arriére une pente qui débouchait sur le fleuve. Tout cet épisode est vu 4 travers une brume faite des larmes d’Isadora quise sou- viendra toujours des présa- ges qu’elle n’avait pas écou- tés. (Suite p. 11) X, LE SOLEIL, 30 JUILLET 1971 a Sama or a