page 6 L’APPEL Mai 1968 CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Combien de bouches?... par Fernand Bouvier Il y a quelques années a peine, la plupart des enfants mouraient avant d’atteindre l’age scolaire. ua survie de la race humaine dépen- dait surtout de ’abondance des naissances. Ce- pendant, avee l’avancement de la science, le rapport mortalité/naissance qui faisait loi de- puis des millions d’années a été ni plus ni moins que chambardé. Maintenant, il semble que la “formule de survie’’ soit renversée. Neuf sur dix de ceux qui naissent atteignent lage adulte. La population humaine augmente géométriquement. Plusieurs des lecteurs de cet article seront encore de ce monde quand le nom- bre de bouches aura dépassé les ressources dis- ponibles de la terre. Du moins en ce qui a trait au niveau que nous connaissons. Déja, 1’insuf- fisance de nourriture est une réalité pour les deux tiers de ’humanité. La sous-alimentation atteint des proportions extrémes pour un grand nombre d’individus. Les grands pays produc- teurs de denrées, tel le Canada, sont incapables de produire suffisamment pour alimenter ceux qui souffrent de la faim par le monde. Méme s'il nous était possible de le faire, les moyens de distribution ne pourraient faire face a la demande. Le probléme est multiplié par les préjugés culturels qui empéchent beaucoup de gens d’u- tiliser des types d’aliments qui pourraient étre disponibles mais auxquels ils ne sont pas ha- bitués. L’exemple des peuples du Kerala, état du sud des Indes, est typique. Quand la récolte de riz manque, les gens crévent de faim. Pour- tant, ce n’est pas la nourriture qui manque; il y a des noix en abondanee, des fruits, des légu- mes, des fruits de mer, etc. Toutefois, les vic- times de la faim se refusent a substituer d’au- tres nourritures 4 leur diéte traditionnelle de riz. Un rapport du Conseil des Vivres et de 1’a- ericulture des Nations Unies indique qu’entre les années 1959 et 1964, la production agricole mondiale suivait 4 peine une augmentation de population de 2% annuellement. En maintenant le présent niveau de consommation des vivres, c’est-a-dire, en acceptant que les deux tiers de Vhumanité demeurent trés sous-alimentés, les besoins en vivres auront augmenté de 35% ici 1975. D’ici l’an 1980, augmentation devra étre de l’ordre de 50%. En V’an 2,000, les besoins auront triplé. Le rythme actuel de peuplement humain est de 2% par année. Ceci peut apparaitre anodin, mais, un petit calcul mathématique remet tout en question. Par exemple, si la race humaine avait commencé a l’époque du Christ, avee un seul couple, et avait augmenté 4 ce méme ryth- me de 2% depuis ce temps, il y aurait mainte- combien de nourriture?... nant 100 personnes au pied carré sur toute la surface de la terre. Evidemment, le rythme actuel de peuplement ne peut pas durer. Longtemps avant d’étre ar- rété faute d’espace et de nourriture, d’autres facteurs seront intervenus. Entre autres, l’indi- ce de mortalité, 4 1’Age mir, peut monter a cause des maladies respiratoires provoquées par la pollution de air. Dans un effort pour obvier 4 telle pollution, l7>homme aura probablement recours & l’énergie nucléaire plutét qu’aux ré- sidus fossiliféres. Mais, personne n’a encore pré- vu de moyens stirs pour disposer des déchets radioactifs. Certains savants craignent qu’a- vant bien des années, la principale menace 4 la vie sera l’effet sur les génes de la grande quan- tité de rebuts radioactifs. Mais, la limitation de la population humaine a partir de Vidée de laisser mourir ses membres de faim ou de maladie serait une “solution’’ qui contredirait toutes les notions de “civilisa- tion”. Y a-t-il un autre moyen? Il y en a un, e’est la limitation des familles. Il est d’ordre naturel que lorsque toute po- pulation dépasse le potentiel d’alimentation du milieu, le nombre des individus a tendance & diminuer. Souvent, cette diminution s’opére dans des conditions tragiques. En Australie, la surabondance de lapins est 4 se résoudre par les millions de victimes que fait un virus épi- démique. Ici, en Colombie Britannique, le sur- plus de chevreuils est fauché durant 1’hiver, par la rareté de nourriture. En Norvége, les lemmings entreprennent un pélerinage périodi- que vers la mer ot ils se noient en grand nom- bre. Jusqu’a tout récemment, peu de personnes croyaient qu’il y a vraiment une explosion de la population mondiale. Une résistance assez forte s’est opposée a 1’idée que l’homme, lui- méme, doit limiter sa prolifération s’il veut survivre. Aujourd’hui, virtuellement tous les gouvernements ainsi que la plupart des grandes religions reconnaissent le sérieux du probléme. Toutefois, il n’y a pas encore unanimité sur les méthodes 4 adopter pour établir un contréle rationnel. Cependant, il y a consensus sur la nécessité de faire quelque chose immédiate- ment. La situation n’est pas désespérée s’il y a action de par tout le monde. Un certain nombre de pays ont déja pris des mesures radicales. Entre 1947 et 1957, le Ja- pon a réduit son indice de naissances par la moitié. C’est maintenant un pays prospére quoi- qu’il n’ait pas totalement résolu le probléme. A Singapore, le taux de naissance a diminué de prés du tiers entre 1952 et 1962. La Chine nationaliste en a fait 4-peu-prés autant. Pays aprés pays devront résoudre leur pro- bléme de surpeuplement. En attendant, l’espé- ce humaine demeure dans un grave danger.