1947-1997 | allt vw Association canadienne : lui &'€ducation de langue francaise IMAGINE-TOI DANS 10 ANS Une tourneée dans les écoles ‘pour contrer le déecrochage Il y a de quoi rendre les enseignantes et les ensei- gnants jaloux! Quand Toni Tremblay s’adresse a une classe, les éléves boivent ses paroles. Monsieur Tremblay fait des tournées dans les écoles. Il rencontre les jeunes pour leur parler de la triste vie qui a été la sienne quand il était analphabéte. II s‘adresse a des jeunes de tout age, des enfants de la quatriéme année aux ado- lescentes et adolescents de la douziéme. Toni Tremblay n’a pas toujours eu la parole facile. C'est un talent qu'il a développé avec le temps, avec beaucoup d’efforts et de persévérance. Il a appris a s’exprimer a un Age respectable, avec l'aide d’une monitrice en alphabétisation. II l'a rencon- trée d’abord pour parfaire ses connaissan- ces en lecture et en écriture. Puis elle lui a demandé ce qu’il aimerait apprendre en plus. Il avait toujours souffert de ne pas pouvoir communiquer aussi bien qu’il aurait voulu. Sa détermination a porté des fruits : quand il ouvre la bouche maintenant, on a envie de |’écouter. M. Tremblay a une soixantaine d’années. Certains des enfants qu’il rencontre dans les écoles l'appellent «Papa Toni». II est pere et grand-pére. Son épouse, leurs cing enfants et leurs dix petits-enfants \'‘appuient dans son travail bénévole, méme si ca l’éloigne de sa famille. C'est que, depuis qu’il est a la retraite, Toni Tremblay s‘est donné une mission. Il a décidé d’aider d'autres malheureux comme lui et, surtout, d’aider les jeunes a éviter le méme sort. Une jeunesse pénible Toni Tremblay a connu la misére. Enfant, il avait commencé a fréquenter |’école. Mais vers l'age de neuf ans, il s’est mis a étre trés malade. II toussait beaucoup et s‘évanouis- sait souvent. Dans sa famille et a l’école, on ne savait pas ce qu’il avait. On ne le prenait pas au sérieux, disant qu’il avait une «maladie d‘école». On voulait dire par la que ses malaises n‘étaient qu’un prétexte pour ne pas aller a |’école. Le diagnostic a tardé, puis on a compris que Toni était réellement malade. Il était atteint d’un terrible mal dont on n‘entend plus beau- coup parler aujourd’hui : la tuberculose, une maladie trés contagieuse. Il a donc été complétement isolé pendant deux ans. Quand il s‘en est finalement sorti, un autre contretemps l’attendait. Son pére était journalier. Alors qu’il travaillait en forét, il a subi un accident qui l’a rendu incapable de travailler. Uainé de huit enfants, Toni est devenu le gagne-pain de la famille. II n’avait pas encore tout a fait 14 ans. lla travaillé fort’et il a réussi a faire vivre les siens. Mais il a payé un prix trés éleve: il _M. Toni Tremblay devant une classe de 4° année de I'école du Sommet en Alberta. est resté analphabéte. Contrairement a la plupart d’entre nous, Toni n‘a pas eu la chance d’aller a |’école. Un message positif Monsieur Tremblay parle aux jeunes de ses expériences personnelles. Mais il le fait toujours dans un esprit positif, dans le but de les encourager. C’est dur pour lui d’évoquer en public des souvenirs qu’il aime- rait mieux oublier.. Papa Toni. veut que les jeunes sachent que la vie d'une personne analphabéte, ce n’est pas drdéle. II veut leur aider a apprécier la chance qu’ils ont d’aller a l’école, méme si ¢a ne leur plait pas toujours. Un projet en ce sens a été mis sur pied pour combattre le décrochage scolaire dans les milieux francophones du Canada. /magine- toi dans 10 ans, tel est le titre de cette initiative. L'objectif est de sensibiliser les jeunes aux conséquences néfastes du décrochage. On veut les convaincre de compléter leur scolarité avant de se lancer sur le marché du travail. Une école de vie aussi «A l'école, on apprend bien plus que lire et écrire», dit Toni. On apprend aussi a vivre. On apprend, entre autres choses, a parler, as'exprimer pour communiquer. Toni n’avait pas appris ca. Apres quelques années, un de ses fréres a pris la reléve pour faire vivre la famille. Ses soeurs et ses fréres ont pu aller a l’école. Toni s’est marié, il a eu des enfants a son tour. Mais ce n’est pas un conte de fées, I’histoire ne s’arréte pas la. La vie était dure pour Toni et sa petite famille. Pour lui, il ne fait pas de doute que c’est dd au fait qu’il était analphabéte. Et c’est ce qu’il raconte aux jeunes. Il veut les convaincre qu’ils peuvent éviter ca. C’est pourquoi il faut qu’ils res- tent a |'école, mais aussi qu’ils se donnent la peine d‘’apprendre. Toni Tremblay emploie un mot qui surprend, il dit les «décrochés». I] entend par la des éléves qui sont encore a |’école, mais qui ont décroché dans leur téte. Ces jeunes n‘écoutent pas et ils n’apprennent plus. lls n‘écoutent ni leurs professeurs ni leurs RRR SE SCC SN AT STN Ge RAR RE parents. Ils ne savent pas vraiment lire ni écrire. Ils ont l’esprit fermé a tout ce qui vient de l’école. C’est dramatique, parce qu’ils risquent d’aller grossir les rangs de ceux dont Toni Tremblay a fait partie si longtemps. Ces «mal- heureux», comme dit Toni, constituent une grande partie de la population du Canada. C’est tout un défi que d’arriver a les intéres- ser. Mais c'est justement ce que M. Tremblay est déterminé a faire. Et il reléve le défi avec succes. Un projet d’encadrement Toni Tremblay est un pionnier de cette forme de lutte contre le décrochage en Ontario. C'est de son propre chef qu’il a contacté des écoles pour les intéresser a.ce qu’il avait a dire aux jeunes. Ilacommencé lI’an dernier, en s‘adressant a-des classes de la quatriéme a la huitieme année. Ces jeunes ont de 10 a 14 ans environ. D’‘aprés Papa Toni, ce sont les plus attentifs et ils posent beaucoup de questions. Cette année, la Fédération canadienne pour l'alphabétisation en francais (FCAF) a mis sur pied un projet-pilote qui va dans le méme sens. La FCAF a prévu une formation spéciale pour les personnes apprenantes qui participent au projet a titre d’intervenan- tes ou d’intervenants. II s’agit d’un atelier axé sur la communication et la confiance en soi. La Fédération a prévu aussi un encadrement pour les interventions de monsieur Tremblay et des autres personnes apprenantes qui participent au projet. C'est dans cette optique qu’une tournée a eu lieu en Alberta et en Ontario, avec l’aide financiére du ministére du Patrimoine canadien. En Alberta, la personne appre- nante qui accompagnait Toni était M Marie-Claire Brousseau. La coordina- tion du projet dans cette province était assurée par M™ Margo Fauchon. En Ontario, la coordonnatrice du Centre d’alphabétisation Alpha Thunder Bay, Mm Annie Roy, accompagnait mon- sieur Tremblay. D’autres initiatives sont en cours au Nouveau-Brunswick. Papa Toni n’est plus seul. Il est accompagné dans ses visites par une personne du milieu qui le présente, du moins la ot il n’est pas déja connu. Cette personne accompa- gnatrice est également responsable de la tenue d'un cahier de bord. Ce document est d'une grande importance pour |’évalua- tion du projet. La personne accompagna- trice y inscrit toute information pertinente a la présentation, dont les réactions des éléves. Adapter son message a son auditoire Dans le cadre de ce projet, Toni Tremblay a été amené a parler a des éléves du secondaire. Ilse sentait un peu intimidé, au départ, a |’idée de s’adresser a ces adolescentes et adolescents déja beaucoup plus scolarisés que lui. Mais il a vite «trouvé le tour» de les intéresser a son message. Les adolescentes et les adolescents com- prennent plus vite, dit M. Tremblay. Contrairement aux éléves plus jeunes, ils ne posent pas beaucoup de questions. Ils sont peut-étre génés face a cet adulte qui leur ouvre son coeur. Ils craignent peut-étre la réaction d'autres éléves de leur age. M. Tremblay leur dit qu’ils doivent prendre confiance, s’encourager entre eux, aimer ceux qui ont de la difficulté au lieu de s‘ignorer les uns les autres, surtout a |’école. Quoi qu'il en soit, ce que Toni Tremblay a a leur dire capte assez rapidement l‘attention, méme celle des plus blasés. Les témoignages des éléves eux-mémes et ceux de leurs professeurs en font foi. Il leur demande comme une faveur de lui faire leurs commentaires par écrit. «C’est ma paie» leur dit-il. Cela vaut-il la peine de continuer a faire de telles présentations ? lls sont des centaines a lui répondre oui. Papa Toni n’a pas son pareil pour sensibili- ser les jeunes aux dangers de l’analphabé- tisme. Il souhaite pourtant que beaucoup d’autres apprenantes et apprenants fassent comme lui. Il espére aussi que quelqu’un arrivera a sensibiliser les gouvernements a l‘importance d’amener les jeunes a com- prendre ce qui les menace, avant qu’il ne soit trop tard. II est convaincu que |’anal- phabétisme a contribué fortement a |’en- dettement de notre beau pays. Quant a la FCAF, elle espére que le succés remporté par son projet-pilote lui vaudra les appuis nécessaires a en faire une véritable initia- tive d’envergure nationale. Source : Louise Bastien Delisle, Fédération canadienne pour I’alphabétisation en francais Si. imme un robot, podsait oli