Septembre 1968 L’APPEL Page 7 Une Histoire de la Colombie-Britannique Chapitre XI Par Roméo Paquette Profil des Hommes A la mémoire du Dr Léon Beaudoing J’ai & peine connu le Dr Léon Beaudoing. L’impression principale que je retiens de lui est probablement trés influencée par les pro- blémes qui pleuvérent sur la Fédération Cana-, dienne francaise de la Colombie Britannique 4 la fin des années cinquante et au début des années soixante. Cependant, j’aimerais l’expri- mer parce qu’elle peut servir a illustrer le dra- me intérieur qui devait se jouer chez un hom- me du niveau intellectuel du docteur Beau- doing. Les quelques conversations que j’ai échan- gées avec lui m’ont laissé soupconner qu'il avait di assister, impuissant, 4 deux concerts a la fois. Le premier ot |’on répétait constam- ment le dernier mouvement de la Pastorale, et, le deuxiéme, ot les tambours dominants ne s’accordaient pas sur le rythme. Avec le recul des années, il est plus facile de voir, mainte- nant, que le Dr Beaudoing est devenu président de la Fédération l’année ou s’est jouée la der- niére manche de la lutte pour la survivance, soit, en 1953, durant la fameuse gréve scolaire de Maillardville, et, que la période qui a suivi, jusqu’a sa mort, a été celle du chasse-croisé entre l’esprit rural et l’esprit urbain. Si on pouvait utiliser cette expression, je dirais que le Dr Beaudoing est entré en scéne au moment oti s’atteignait l’apogée de la tra- dition. C’était la période de prospérité maté- rielle. La montée inflationaire n’avait pas en- core détruit |’illusion de ’abondance que pro- curait la hausse des salaires. On pouvait réver de grandes choses. Comme les réves sont rarement provoqués par des vues d’avenir mais par des expériences vécues, il était tout naturel qu’on assista, du- rant les années cinquante, 4 une grande florai- son de paroisses et d’institutions paroissiales. C’était 4 V’ombre du clocher paroissial que les groupes homogénes canadiens-fran¢ais avaient pris racine sur les prairies. C’était l’école pa- roissiale et les colléges classiques de St-Bonifa- ce, Gravelbourg et Edmonton qui avaient for- mé l’élite canadienne-francaise de 1’Ouest. Un tel momentum et une telle gerbe 4 la gloire de l’Eglise a eu l’effet du mascaret qui gonfle en- core les bras de mer et les embouchures des fleuves alors que la marée a déja commencé A se retirer. Ainsi, en 1952-53, les Canadiens-frangais, confiants en leurs institutions paroissiales et convaincus de leur droit de défendre leur lan- gue et leur culture en méme temps que leur foi et leurs traditions, avaient décidé de braver Vopposition systématique des autorités publi- ques en déclenchant une gréve de protestation. Cette gréve dura 4 peu prés un an, se résolva par quelques adoucissements financiers dont, bénéficiérent toutes les écoles confessionnel- les, mais ne garantit aucun droit nouveau quant a la langue. Il faut bien remarquer que les troubles de Maillardville n’ont pas impliqué d’une facon directe la Fédération. Cependant, il est néces- saire de s’y référer, car, 4 mon sens, cette gréve a eu des conséquences psychologiques qui n’ont pas échappé au Dr Beaudoing mais qui ne font que commencer d’étre comprises et acceptées par l’opinion générale. A la suite de cette gréve, un doute de plus en plus insistant s’empara des chefs. Un mou- vement lancé par des Canadiens francais — au nom du droit des parents de choisir le gen- re d’éducation qu’ils désirent pour leurs en- fants, — a été faussé dans seg vrais objectifs par les Catholiques de langue anglaise qui em- boitérent le pas. Ces derniers en profitérent pour avantager la cause des écoles confession- nelles, sans égard au fait que les Canadiens francais étaient également intéressés A la li- berté d’enseignement dans leur langue mater- nelle, et toute la question culturelle fut enter- rée sous la publicité qui s’est faite au nom de la confessionnalité. Fait remarquable, cependant, seules les écoles de Maillardville furent fer- mées, seuls les parents de Maillardville eurent a supporter les inconvénients d’une gréve, et, quand tout fut fini, c’est encore Maillardville qui fut enjoint par l’archevéque de Vancouver a payer la note. De plus, les seuls gains obtenus furent vite contrebalancés par le fait que les écoles paroissiales ne sont libres, ou indépen- dantes, que de nom. En permettant aux écoles confessionnelles de profiter de la gratuité des textes scolaires officiels et des examens du Ministére de 1’Education, le gouvernement s’as- surait le contréle et l’uniformité scolaire, en Colombie Britannique, tout en faisant une for- te épargne de frais qui retombaient sur le dos des Catholiques. Du méme coup, les écoles pa- roissiales qui s’étaient donné mission de per- pétuer le frangais, en Colombie, recevaient l’in- jection de soporiphique qui devait en faire des écoles anglophones 4 plus ou moins bréve é- chéance. Leur caractére bilingue ne pouvait pas longtemps subir impunément les pressions du milieu en faveur de l’uniformisation. Le Dr Léon Beaudoing se rendit bien compte de la grande illusion qui persistait. Par con- tre, qu’y avait-il pour unir les Canadiens fran- cais? Y avait-il une autre institution que la paroisse dont l’attraction, a elle seule, puisse établir des liens communautaires? Toujours est-i] que ’unanimité, tant sur les objectifs que sur les moyens de les atteindre, commenga a s’éroder, d’année en année, et, des événements regrettables aidant, 1’éclatement survint au congrés annuel d’octobre 1960. A ce moment, le Dr Beaudoing n’était plus le prési- dent de la Fédération. Ce poste, il ’avait con- (Suite page 8)