Le Moustique Dans le groupe qu'il s’est constitué hier soir, car il aime indéniablement la compagnie et ne se déplace jamais seul, figurera également un jeune couple de |’Alberta. Lui est plutét fermé. Son épouse boite terriblement bas. Une entorse semble-t-il, mais a la voir geindre a chaque pas, je ne serais pas surpris qu’elle ait une légére fracture dans l'un des nombreux os du pied. Avec ma fille qui tire la téte et moi qui traine la jambe, j’ai un moment l'impression de faire partie d'une cohorte qui tiendrait a la fois de la cour des miracles et de la retraite de Russie. Notre nouveau chaperon me racontera plus tard qu’il a attendu trois jours 4a Camper Bay avant de trouver des gens qui acceptaient de le prendre pour mentor. II n'est probablement pas bon signe qu'il ait fallu que se soit nous. Aprés les premiers pas le long de Vestran, car je suis tout de méme parvenu a convaincre ma fille du bien fondé de mon choix, je découvre a notre sherpa des plages une autre caractéristique : il est bavard comme une pie et sa conversation est a peine plus fascinante que celle du volatile auquel il s'apparente. La totalité de l'énergie qui lui reste aprés |’effort de porter son sac et de sauter les obstacles en ahanant, il le consacre a tourner et babiller autour de ma fille. Décidément le monde change. Quand on jugeait le temps venu de trouver chaussure au pied a sa fille, il y a de cela pas tellement longtemps, on I’emmenait au bal ou a un thé dansant, mais pas dans la forét humide canadienne. De toute maniére, s'il cherche a se marier, ses chances seraient plus grandes a sortir le soir € Vancouver qu’a venir trainer Volume 4 - 4° édition Avril 2001 ses bottes sur la Cote Ouest ot les filles sont toutes des juments athliétiques a la santé junonienne, ne tolérant la présence d’un male que s'il est sain, musclé et féru de littérature diététique. Et encore, il est nécessaire que cette diététique-la soit essentiellement organique. Bon, il est musclé. Des moilets en tout cas. Mais cela ne semble pas suffire 4 ma fille qui a décidé de ne plus dire un mot et de bouder dans son coin. Elle me souffle tout de méme, a un moment ou il s’est éloigné, découragé : - J’étais préte a te pardonner pour m’avoir entrainée dans cette aventure, mais la, tu dépasses tes bornes. A la premiére occasion, je te laisse tomber. - D’abord, je te rappelle, qu’au début, tu étais tout excitée a l’idée de venir ici ; mais si tu décides de faire bande a part, je te fais remarquer que c'est moi qui porte la nourriture. - Oui, mais moi, je porte la tente. - C’est bon, je crois que l’on va s’entendre. Et c’est le moment le mieux indiqué d’ailleurs : il fait beau, on n’a pas encore réellement apprécié le paysage et, a cet instant, on butte sur le premier obstacle. C’est un nouveau chenal qui n’a pas lair trop impressionnant. Curieux tout de méme tous ces chenaux perpendiculaires a la céte. J’ai remarqué que tous ceux que nous avions déja traversés étaient plus ou moins paralléles 4 eux-mémes ainsi qu’a de simples cassures qui, elles, n'ont pas donnée lieu a un chenal. Pas encore peut-étre. Ii est trés vraisemblable que les vagues affouillent la roche, préférablement au niveau de ces fractures, et qu’en dessous de la cassure observée en surface, un tunnel se forme. En s'agrandissant, le toit de ce tunnel, devenu trop mince par I’érosion permanente, s’écroule pour laisser apparaitre un canal dont la mer adoucira les arrétes avec le temps Page 11