4 Le vendredi 20 juin 1997

(Cette lettre, adressée a
Pierre Foglia de La Presse, a
été écrite avant le départ de
Vauteur pour Vancouver, en
mars 1997.)

Mon cher Pierre,

Je m’en vais. Je déplace
langoisse inhérente & toute vie
humaine de 5 000 km vers
POuest, prés, tout prés d’un
océan que jespére aussi
pacifique que son nom. Je
pars, Pierre. Pour m’ennuyer
de l’ennui, me permettre de le
désirer 4 nouveau, a petites
doses, lors de mon retour. Je
«<décrisse» sur mon deux pneus
quatre-saisons, me faire des
pattes aux cols des Rocheuses,
pour m’éloigner de celles des
<rushantes» qui sans cesse me
chignent et rechignent: fume
pas ici, fume pas de ¢a, c’est
pas bien. Je m’en «crisse».

Je laisse ici les Québécois,
pour la plupart des hommes, et
les Québécoises, pour la
plupart des méres dans lame,
dans l’arme ou dans _ les
larmes; je laisse aussi les télé -
romances de Réjean Suffisant
et de Fabienne Plastique avec
du cul, du sang et pas grand-
chose d’autre; le Télé-
Bernard de 22 heures
entrecoupé de _ pubs; la
musique et les textes raffinés
de Daniel Bélanger, les beaux
petits yeux noirs inquiets de
Christiane Charette, enfin, les
conflits entre hommes, entre
femmes, entre hommes et
femmes et entre leur 1,7
enfant. Je pars troquer ma
peine d’amour la plus récente
pour des bonheurs d’amitié
que je me ferai avec les
montagnes de C.-B.

Je pars changer d’air, celui
que je respire et celui que je
pollue, dégonfler tranquillement
mes illusions de vivre dans un
monde meilleur; me donner le
sentiment trés noble de
renforcer mes faiblesses en
continuant de me les avouer.
Je pars surtout pour ne plus
entendre au méme canal ces
hommes A la manie de
manifester leur révolte, molle,
en portant la p’tite «crisse» de
barbe - comme un pubis fané
au 52 non décodé -, comme un
cul & hauteur de bouche; mais
aussi pour ne plus rencontrer
au méme bar la médiocrité , la
pauvreté et la désillusion
tatouées sur des bras qui ne
travaillent pas fort, ou «<body-
percées» dans des oreilles qui
n’entendent plus rien parce
que trop sollicitées par la
pollution urbaine, la télé, les
discours mous de _ Daniel
Johnson fils de rien, fils de si
peu. Parce que je ne suis plus
capable d’écouter le AM de
Radio-Canada et les corps

anonymes qui rendent |’Ame
au Zaire ou ailleurs, dans le

vacarme des armes_ des
vainqueurs qui les vendent a
des vaincus qui les rendent.
N’importe quelle guerre me
fait chier, faut que je
déguerpisse.

Je suis las d’entendre le
nom du maire qui sonne
comme Burk... je «crisse» le
camp sur les sentiers asphaltés
en marge de la Transe-Constitu-
tionnelle, pour quotidiennement
planter autres choses que des
corps mous, partir planter des
arbres, tiens. Des arbres, en fait
n’importe quoi qui ne soit pas
capable de parler anglais,
francais, chinois ou affaires;

qui soit donc incapable de
mentir, de saliver & la vue de
Yargent, d’élever des enfants
en les rabaissant dans leur
marde en attendant le tirage
du samedi; qui soit incapable
de faire des talk-choses mettant
en vedettes Chose pis Chose,
qui vont passer le jeudi a
Ecuyer ou & l’automne chez
Chick-a-Chick Snyder a4 la
place de Négrorie Charles

enfin, je veux dire... quitter,
quitter en douce le rude hiver,

les neiges pleines de rues, les
nuages pleins de CO2, les
Canadiens de Montréal et de
Frédéricton et de  Cap-

Bedonne (petite Principauté

en banlieue de Miami...).

Quitter pour en étre quitte
avec mes envies récurrentes de
partir, pour rendre encore plus
libres mes temps libres, pour
achever ma piéce de Té-out
trés in, mon roman d’amour et
de haine déguisés, pour gratter
fiérement pas plus haut que le
trou ma guitare 4 200 $ can.,
pour faire des clins d’oeil aux
secrétaires que le chum ne
baise plus, appliquer pour
devenir journaliste sur Mars, &
temps plein ou a temps vide,
fumer du pot que j’ai moi-
méme fait pousser, avec de
Peau et de lenvie... pour
finalement, le soir, rire avec les
étoiles, heureux.

Mon ami, je pars. Et je sais
déja qu’ailleurs ce ne sera pas
pareil; ailleurs ce sera

semblable. Ga fait rien. Salut

Pierre...

Denis GILBERT, EXTREME
AMANT FATIGUE

Chére rédactrice en chef,

Jai dit & mes amis en Suisse romande : «C'est triste,
ma famille et moi déménageons & Pouest du Canada et on
ne parle pas un mot de frangais ld-bas». La langue

_ frangaise est trés importante pour moi. Avec ma famille

torontoise, jai appris la langue de Moliére et de Roch
Voisine & Neuchatel. Toute la famille voulait rester en
Suisse; ma femme pour la culture, mes enfants pour les
copains et moi pour le salaire. Hélas, le travail nous a
conduit en Colombie-Britannique, et je me suis dit :
«Quelle chance avons-nous de parler en frangais ici ott les
gens ne flirtent qu’avec les langues asiatiques et traitent le
frangais & l’école comme une punition ?»

Un mois plus tard, nous avons acheté la maison
dune famille québécoise et Pavocate que nous avons
consultée était, par hasard, québécoise. Aujourd hui, nous
continuons de découvrir des familles francophones dans
notre voisinage.

Je sais vraiment que le «fait frangais» existe en
Colombie-Britannique, une situation que votre journal

veut souligner. Cependant, il n’y a pas d’expressions dans
vos articles, ni & la radio ni a la télévision (sur les deux
chaines canadiennes), pour un Canada uni. Un Canada
sans le Québec serait trés triste pour les francophones de la
Colombie-Britannique.

Cet été, je vais aller avec ma famille au Lac la Hache.
Le nom de ce lac ne me fait pas songer uniquement aux
nuits effrayantes dans la forét sauvage, mais aussi au lien
historique de la Colombie-Britannique avec les yoyageurs
frangais, les légendaires coureurs des bois.

En Suisse, les divisions entre les quatre groupes
linguistiques (en particulier entre les Romands et les
Alémaniques) sont fortes. Pourtant, presque tous [es
Suisses voient la richesse de ce pluralisme. Quant & moi, je
vois la richesse de notre bilinguisme ct je me sens tellement
bien quand j’entre dans Pautre Ganada. Je me sens un
attachement tout particulier avec les voyageuis. Alors
essayons de garder plus énergiquement tout leur territoire
et leur mémoire.

Jim McMurtry

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