Le Canada ; cest du folklore . “True Patriot Love / Véritable amour . patriotique” de Joyce Wieland, a la “Galerie nationale. a IL FAISAIT beau ce jeudi-la a Otta- wa. Vers six heures, quelques nuages, aidés d’un petit vent frais, avaient chassé l’oppressante humidité qui de- puis le matin assaillait la capitale fé- dérale et, si le soleil n’apparaissait point, c’est dans la fraicheur d’un soir bien recu aprés l’écrasante journée, dans un petit parc, situé tout prés des locaux de la Galerie nationale, que jouaient les musiciens de la petite fanfare militaire que composent les gens des ‘‘Cadets Lasalle’. Lair était done a la féte: sur la terrasse de pierre sise devant la Gale- rie, les gens s’entassaient et, dans la rue; les autos ralentissaient pour mieux écouter cette musique qu’a coups de clairons et de tambours, de jeunes gens bien stylés voulaient bien nous dire. Cela dura quinze minutes: le temps que cette fanfare, en procession, se rende sur la terrasse, y aille d’une ou deux piéces instrumentales, se remet- te en formation géométrique pour pé- nétrer 4 l’intérieur méme de la Gale- rie et y aller alors d’un vibrant ‘“‘Hé- loise”, tél qu’immortalisé par Donald Lautrec, avant de ressortir pour quit- ter, toujours accompagnée par les ap- plaudissements de la foule. Ensuite, ce fut pour invités et quel- ques intrus courageux réception, sou- per et réception: l’exposition de Joyce Wieland: “True Patriot Love/ Véri- table amour" patriotique” était officiel- lement ouverte. La féte avait eu lieu, non sans’ que tous les gens présents m’eussent eu droit au gateau de cir- constance et a tous les déploiements ordinairement plus mnilitaires qui se doivent, par l’ordre et la systématique mise en scéne, d’accompagner la célé- bration des fétes dites nationales. t e §®@ C’était la semaine derniére: le Jer juillet. Bien sir, l’exposition, a sa fa- con rétrospective de l’oeuvre de Joyce Wieland, et d’une certaine fagon con- sécration d’une oeuvre, un message et ce message, dans le contexte, surtout politique et social avant d’étre cultu- rel, dans l’actuelle situation canadien- ne, était sirement courageux. Joyce Wieland, avant méme d’étre l’artiste ‘canadienne reconnue, allait proposer, au-dela des solutions, une approche d’un milieu géographique. Il fallait donc s’attendre 4 la prise de position et A un travail né d’une difficile ana- lyse. “L'énergie de leurs mythes” “True Patriot Love / Véritable amour patriotique’: “D’un océan a Yautre, Joyce Wieland parcourt un territoire a la recherche d’un pays dont le souffle vital serait celui du vent du nord, des arbres qui poussent au grand soleil, des animaux qui l’ha- bitent et de la neige qui tombe; d’une nation dont le souffle serait celui de tous les peuples qui la comiposent dans toute l’énergie de leurs mythes et de leur histoire, d’un sol dont la réalité serait celle du vent qui passe sur les fleurs des champs”. Pierre Théberges 2S == Pierre Théberge, de la: Galerie na- tionale, coordonnateur de l’exposition, est peut-étre celui qui décrit avec le plus de justesse l’exposition a laquelle il a lui-méme- contribué le plus a met- tre sur pied: ce pays, dont on nous parlera, n’est plus celui de gens qui demandent a vivre, mais celui d’une nature que homme a spolié. Ce pays, qui se fait ou se défait, selon les aspi- rations, nous allons donc le-voir deve- nir une occasion pour un témoignage, qui n’aura pour justifigation qu’un certain universalisme, le besoin de ‘homme d’une identification et sur Courtepointe de Joyce Wieland A la recherche dun pays. servation. Entre deux pdles donc: entre le dra- peau canadien et l’ours arctique, voila que se développera une exposition. Avant les oeuvres, aprés les avolr vus, il nous faut lire les images pour se demander si ce pays que nous allons voir est bien celui ol nous devons-vi- » vre. “Le Canada, un pays?” Bien sur, nous dira & sa fagon Joyce Wieland en nous montrant un hymne national (par la reproduction des lévres qui nous en disent le texte, ou par le tex- te reproduit), en reproduisant un dra- peau, ou en rappelant quelques textes. Au-dela toutefois des images, parfois - par quelques titres: “La vie et la mort de la ville américaine”’, c’est un nationalisme qui nous vient d’ailleurs, qui se fait en opposition 4 des actes posés ailleurs, dans un pays que l’on dit souvent ‘“impérialiste”: l’ Amérique des Etats-Unis. Ce n’est donc pas un nationalisme qui s’affirme, mais une différence qui se défend, avant de se justifier : nous serions donc alors des Canadiens, parce que nous naissons d’un refus, celui d’étre 4 l'image d’un voisin qui s’affirme, 4 sa maniére, au sud du 45éme paralléle. Mais qu’al- lons-nous alors étre? - La pollution ou 109 paysages Quelques éléments de solution : combattre la pollution, qui va “huma- niser” un grand territoire vierge, ce- lui du Grand Nord, ou vivre 109 pay- sages, qui ont bien sir une réalité, mais qui demeurent dans le contexte politique canadien une réalité folklori- que face aux réalités quotidiennes. “Mon pays, ce n’est pays, c’est V’hi- ver’, aurait dit un autre, mais son chant aura pris un sens dans la mesu- re ou il aura été assumé par un peu- ple qui, 4 sa facon, se construit et, par ce combat, donne un sens aux mots, comme aux images. Voila ou les symboles, ‘qui n’ont ja- mais construit une réalité, empéchent Joyce Wieland de donner une actualité a son action et raménent l’oeuvre, malgré les tentatives d’implication, 4 la seule affirmation plastique, le pro- pos ne, touchant les gens que dans la mesure ou ils veulent bien se sentir impliqués ou, dans. un autre cadre, lorsque des gens veulent utiliser l’oeu-’ vre au-déla des conflits ou des _affir- mations, comme si le symbole pouvait signifier plus que ce qu’il représente. Nous nous retrouvons donc devant 36 propositions- ou réalisations : ici, il ne sera pas tenu compte de la pro- duction cinématographique de Joyce Wieland, méme si le film devient pour elle une occasion de plus en plus im- portante d’expression. 25 Souvent sympathiques, les oeuvres. Sympathiques dans la mesure oi l’ar- tiste ose et ne s’enferme pas trop ri- gidement dans un mode ou une for- mule d’expression : l’exposition offre une grande diversité, par ses apparen- ces, et chaque objet sait garder sa propre autonomie. Certainement qu’a loccasion certaines piéces manquent maintenant d’une force d’impact : pour l’habitué, le texte écrit qui, par ses seules phrases, fait l’oeuvre, n’of- fre plus l’intérét qui était, il n’y a pas plus de deux ans, le sien. Ici, il faut le dire, il s’actualise par la tech- nique de Joyce Wieland qui veut tou- jours qu’une oeuvre ait, par sa fabri- cation, une connotation artisanale. Par la, ses drapeaux canadiens montreront un peu plus, mais si peu. On réalise qu'il faut plus dans une oeuvre que ce qu’elle montre et\que la seule beauté -de Vorganisation visuelle intéresse lorsqu’il y a plus qu’un jeu de teintes ou un équilibre formel. Vive l'Arctique Finalement, ‘La courtepointe d'eau” at “Jour arctique’ deviennent les ob- jets les plus significatifs et les plus si- gnifiants de l’ensemble: par les va- ciations colorées, comme par l’accu- mulation des éléments, le spectateur joue un jeu qui lui échappe, au mo- -ment des lois. Aussi, visuellement, ces riéces produisent leur effet, par l’éter- 1el changement de l'image créée: Joyce Wieland produit d’ailleurs ses yeuvres les plus sensibles lorsqu’elle 1ous parle de l’Arctique. C’est, géo- graphiquement, la partie canadienne qui l’inspire Je plus et qu’elle sait le mieux traduire, peut-étre pour l’avoir yvécu et ainsi ressentie. : Voila pourquoi “True Patriot, Love/Véritable amour patriotique’’ de- vient finalement un témoignage bien accidentel qui n’a qu’une seule justification : un point individuel, non globe. Le témoignag “True/Véritable”, mais peut-il suffire lorsqu’il raméne finalement les cho- comment étre “‘Patriot/Patriote.” ses, et les valeurs, au niveau de l’ac- cident de parcours, des seules appa- rences? : Répondre par un oui est possible, mais il faut alors réaliser que c’est bien vite oublier les valeurs humaines qui se jouent alors. Ce oui d’ailleurs sera plus qu’un seul jugement, qu’une honnéte appréciation : il obligerait 4 admettre que lart (et les valeurs qu’elle repré- sente) est le seul fait d’images bien ou mal construites. Ce serait deman- der a l’artiste de n’étre qu’un unique fabriquant d’objets et admettre qu’un point de vue, parce que subjectif, de- vient nécessairement de valeur: cela peut a la rigueur étre acceptable lors- que Voeuvre demeure isolée, non quand elle implique plus que ce qui est montré. En fait, l’exposition des oeuvres de Joyce Wieland nous de- mande d’accepter qu’un pays ne soit pas plus que ses symboles. Difficile : demanderait-on 4 un Québécois, 2 ti- tre d’exemple, que son pays ne soit rien de plus qu’un drapeau? Dans le monde actuel, face aux ur- gences, l’artiste, lui aussi, se doit d’a- gir, de s’impliquer :. on se saurait ac- cepter qu’il se contente d’effleurer les problemes. Bien sir, il n’y a plus, comme au temps de David, la possibi- lité d’utiliser des exemples “exemplai- res” romains (qui ne voulaient plus, méme en ce temps, dire grand-chose), mais il a a situer non seulement le probléme mais a laisser entendre les problématiques. Comment? La est I’o- riginalité, et la valeur, de l’oeuvre. _ Exposition décevante? Oui, dans la mesure ou, au-dela des valeurs plasti- ques, Jartiste essayait d’actualiser son oeuvre. Toutefois, au lieu d’impli- -quer et Jl’art et son travail, elle n’a finalement que. réussi a ramener le tout au medium: le medium est une fois de plus le message, et cela ne va pas, une fois de plus encore, sans sa- “True Patriot Love/Véritable amour patriotique’”’ ne nous a donc pas dit un autre besoin, d’une certaine con- LE SOLEIL, 10 SEPTEMBRE 1971, Ix 4 ue