Nootka ou la fatalité au féminin Nootka l’Amérindienne, Fanny la Parisienne et Rosalind I’Allemande : trois victimes au destin tragique pour avoir été des femmes dont le sort est souvent déterminé par l’autre. Nootka est le nom d'une jeune Amérindienne de la tribu des Song- hees dans la Baie Cadboro en Nouvelle-Calédonie, rebaptisée Co- lombie-Britannique par les Anglais lorsqu’ils établiront leur premier fort 4 Victoria. Personnage fictif important malgré le rdle secondaire qui lui a été attribué dans le roman. Petite femme délicate, elle est soumise aux traditions de sa tribu et plus tard, dans sa relation amoureuse avec un Blanc, a l’idéologie de l’église catholique, laquelle se partage avec les protestants la mission de convertir les autochtones. Déchirée entre les valeurs de ses ancé- tres et celles de homme blanc qu’elle aime, elle fait montre d’une lucidité peu commune et accepte souvent de faire des compromis afin de ne pas s’aliéner sa tribu et de s’intégrer 4 une société blanche dans laquelle le destin I’a poussée. L’autre personnage important n’est pas Jean-Baptiste, l’‘amoureux de Nootka, figure médiocre, mais son cousin Louis-Joseph « qui a quit- té son poste d’ingénieur Strasbourg pour se faire chercheur d’or en Californie » et qui repart retrouver sa Lorraine non pas en aventurier enrichi mais en tant qu’étre désillusionné, conscient que « cette Amérique dont il avait tant révé le rejette » en le privant de son bon- heur et en emportant son amour, découvert sur le tard, dans un in- cendie qui a détruit le village de Barkerville en 1868. L’épopée de Sep, diminutif a l’américaine de Louis-Joseph, com- mence a Sacremento en Californie, a la recherche du meétal jaune précieux que I’on trouve, semble t-il, dans la vase des cours d’eau. Cette épopée de la ruée vers I’or se transporte ensuite dans le Nord du continent, colonie de la Colombie-Britannique. Victoria dans la pointe méridionale de l’ile que l'on désignera plus tard ile de Van- couver sera la premiére étape. Un endroit ot l'on demande un permis d’exploitation auprés du Gouverneur de sa Majesté avant de pénétrer plus avant dans la vallée du Fraser et de remonter jusqu’a Barker- ville qui sera l'ultime Eldorado de cette ruée vers l’or. L’auteure parle de « reconstitution romanesque d'un moment peu connu de la ruée vers I’or en Colombie-Britannique » et choisit des « personnages fictifs dont beaucoup sont des francophones qui ont faconné cette époque charniére de la céte Ouest. » Sa technique ro- manesque classique est menée de main de maitre. Le lecteur accro- ché au déroulement des événements se laisse emporter a son tour. Témoin de la passion de ces hommes déchainés devenus des bétes féroces qui n’obéissent qu’a la seule loi de s*enrichir méme par le crime et la violence. II les accompagne dans leurs pérégrinations et les observe le soir dans les saloons et les maisons de prostitution en train de dépenser sans compter leur recette de la journée. Une Fran- gaise, Fanny Bendixon, est une figure marquante dans le monde interlope de receleurs. Son auberge, le Saint-George, et ses filles danseuses, les Hurdy-Gurdy girls, achetées a un réseau d’échange et de trafic de jeunes filles a I’échelle mondiale, ont fait d’elle la grande dame de Victoria, la ville ow elle finira ses jours dans la soli- tude. Si les personnages sont fictifs, le cadre historique est réel et bien authentique. Professeure émérite, de littérature a Université de la Saskatchewan, Monique Genuist a publié une étude sur la création romanesque chez Gabrielle Roy. Elle exploite a sa maniére "histoire de l'Ouest canadien ou elle a planté les personnages de son roman. Sa recherche et sa méthode de travail ne laissent pas de doute sur leffort déployé pour ne pas déformer Vhistoire. Elle donne, dans une bibliographie a la fin du roman, les principales sources consul- tées dont des archives, des essais et des journaux comme le Courrier de la Nouvelle-Calédonie publié a Victoria en 1858. Son roman est situé dans la période 1840-1868 en Colombie- Britannique depuis « la construction du fort 4 Victoria dans les an- nées quarante et les débuts de la Colombie-Britannique sous la direc- tion de James Douglas, facteur en chef de la Compagnie de la Baie d’Hudson, puis Gouverneur de l’ile. » D’autres personnages authen- tiques dans l’histoire de la province : Amélia, femme du Gouver- neur, le Docteur Helmcken, John Work « trafiquant de fourrures et employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson » ainsi que John Yates « propriétaire du premier saloon a Victoria. » Elle n’oublie pas d’ajouter a cette liste des personnages francophones authentiques comme V'Evéque Demers, les Sceurs de Sainte-Anne, Pierre Mar- quais, un aubergiste sur la route de Barkerville, ou enfin Paul de Garro qui a dirigé le premier journal francophone le Courrier de la Nouvelle-Calédonie. L’auteure nous apprend a propos des deux personnages Jean-Baptiste Lassiat et Louis-Joseph Lassiat, que « leurs faits et gestes sont du domaine de l'imaginaire » mais leurs antécédents remontent a « Joseph Lassiat, tisserand 4 Liépvre » et a Jean-Baptiste Lassiat, originaire du méme coin en Alsace et qui a été chercheur d’or en Californie. Ce lien se retrouve dans l'Ouest américain et méme dans la propre famille de ’'auteure du cété de sa mére née Lassiat dans une famille de Liépvre en Alsace. C’est ainsi que histoire de la famille Lassiat rejoint celle de l’Amériendienne Nootka. L’une comme l'autre de- meure dans univers de l’imaginaire malgré leurs racines historiques vraisemblables véhiculées par des récits qui appartiennent aux tradi- tions orales. Originaire de Lorraine en France, Monique Genuist habite depuis une trentaine d’année l'Ouest canadien. Actuellement, elle vit a Victoria, capitale de la Colombie-Britannique, située dans la partie meridionale de l’ile de Vancouver légendaire pour son histoire colo- niale et amérindienne. Monique Genuist a été directrice littéraire d'une anthologie littéraire fransaskoise et de l'Ouest Canadien pu- bliée en 2000 aux Editions de la Nouvelle Plume a Regina. Ses au- tres romans ont paru entre 1973 et 2003 en France, en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan ainsi que des essais littéraires 4 Mon- tréal. Monique Genuist, Nootka, Sudbury Prise de Parole , 2003