er gn RT a 16— Le Soleil de Colombie, vendredi 18 janvier 1985 La migration des Québécois vers la C.b. Suite de la page 1 francophone des environs de Vancouver. Cela est toutefois compréhensible si on consi- dére eh lYendroit n’est plus un village mais qu'il a été absorbé par l’expansion de la banlieue et fait aujourd’hui géographiquement partie de Coquitlam. En outre, le taux d’assimilation en Colombie britannique étant de 70%, Maillardville n’abrite plus qu'un noyau vieillissant de francophones. Les jeunes ont, pour la plupart, déserté a la fois le site et I"héritage culture] des générations précédentes. En somme, 4 l'exception de la paroisse Saint-Sacrement et du West End oi 1’on observe quelques regroupements, en- core que ce soit nettement insuffisant pour parler de concentration ‘spatiale, bien peu de points de repéres permettent de localiser les Québécois dans |l’aggloméra- tion de Vancouver. Dispersion est sans doute le terme le plus juste pour décrire leur pré- sence. En dehors de la métropole colombienne, les destinations des Québécois -sont nom- breuses. On peut les regrou- r en trois régions qui sont: la vallée de l’Okanagan, I'fle Vancouver et quelques centres forestiers, miniers et industriels de l’arriére-pavs. La vallée de Okanagan. Cet endroit est devenu de- puis presque une dizaine d’an- - née, une étape traditionnelle pour les Québécois itinérants. La migration revét cepen- dant, dans ce cas précis, un caractére nettement saison- nier puisque c’est avant tout la cueillette des fruits et le travail de plein air qui attirent les Québécois. Bien qu’on en retrouve dans toute la vallée, les sites fréquentés sont Kelowna, Vernon, Penticton et Oliver. Ces itinérants sont jeunes pour la plupart et, dans bien des cas, l’Okanagan n’est pour eux qu'une étape le long d'un voyage de plus grande envergure. Cette étape de quelques semaines ou quel- ques mois permettra d’amas- ser un peu d’argent afin de poursuivre vers Vancouver, la Californie ou l’Amérique du Sud. Toutefois 4 ce premier facteur, se greffe un autre motif d’attraction qui a fait qu'une partie des saisonniers sont a la longue devenus des anents dans la région. L’ensemble de la vallée, a cause de son climat, de ses paysages, est percu comme une sorte d’éden, de paradis terrestre ot la nature’ s'est montrée particuliérement gé- néreuse et imaginative. Ce type de motivation est une constante en Colombie britan- nique. On y décéle un fond dhédonisme, commun 4a nombre de Québécois qui y vivent ou qui y séjournent. L’habitude québécoise com- mence d’ailleurs 4 étre ancrée dans la région. A tel point que certaines années, les Québécois formaient presque la majorité de l'ensemble de la main-d’oeuvre saisonniére. D’aprés les chiffres, la proportion de Québécois chez les travailleurs saison- niers dépasse méme celle de la ulation locale a partir de 1979. On ne s’étonnera donc pas que cette invasion ait donné lieu a quelques “trou- bles” dont la raison peut étre trouvée dans la réaction de repli de la part de la popula- tion locale face a cet afflux mais aussi dans les fortes différences de mentalité qui existent entre Québécois et gens de la place. A Victoria, sur I'fle Vancouver, on retrouve une population québécoise moins nombreuse mais socio-profes- sionnellement semblable a celle de Vancouver. Le reste de I’tle, royaume de la nature sauvage, est également un lieu de _ prédilection pour les Québécois. La céte Ouest en particulier, face au Pacifique, abrite plusieurs villages de heurs et quelques-uns d’entre-eux, dont Tofino, sont réputés pour étre trés fréquen- tés des Québécois. Ces der- niers sont des jeunes venus profiter de la mer, de la nature encore vierge et d’un tythme de vie particuliére- ment apaisant. Ce sont sou- vent les mémes que ceux qui sont passés par la vallée de l’Okanagan et qui poursuivent leur périple dans I’fle avant de se diriger vers le Sud. Ov alors, ils s'y installent pour quelques années. Cette popu- lation ressemble a celle qu'au Québec on qualifie de “décro- chée”, au sens ow celle-ci cherche a s’éloigner de ]’uni- vers de la consommation pour adopter un quotidien plus simple, moins artificiel, plus rés des valeurs traditionnel- es. Ils sont sans doute la reléve de cette vague de Québécois du début des an- nées 70, qui fuyaient dans les campagnes québécoises le nouveau mode de vie urbain des grands centres comme Québec et Montréal. Enfin, le dernier type de destination québécoise en Colombie britannique, les sous-centres de l’arriére-pays, voués a l’exploitation des ma- Vancouver. lieu de prédilection des 18 tiéres premiéres, tels Prince- George ou Port-Alberni. On serait presque tenté de quali- fier ces endroits de marginaux pour les Québécois. Car en fait, ils sont les seuls en Colombie auxquels on puisse associer une motivation a teneur fonciérement économi- que. En ce sens, les migrants qui s’y rendent sont plus prés de leurs confréres et consoeurs' néo-albertains de Fort McMurray par exemple. C’est d’abord et avant tout le travail qui attire, un travail assez dur souvent mais rémunérateur. Ce ne sont pas des lieux d’enracinement mais de pas- sage. L’objectif est de faire un coup d’argent et par la suite de retourner 4 la civilisation pour la dépenser. Le séjour peut étre de quelques mois ou quelques années, selon la personne ou selon les besoins en main-d’oeuvre. Bref, ca ressemble un peu, comme rapport au travail, a ce que furent la céte Nord ou la baie James pendant les années 70. Les motivations Beaucoup de Québécois rencontrés a Vancouver y étaient depuis plus longtemps que ce qu’ils avaient prévu au départ. Il se peut que pour une partie d’entre-eux, la motivation ait été, au début économique. On s’y installe cependant pour d'autres rai- sons. A la longue, le facteur économique se confond avec des considérations d’un autre ordre. La Colombie présente un taux de chémage voisin de celui du Québec. Non pas qu'il soit impossible d’y trou- ver un emploi, ¢a l’est sire- ment autant qu’au Québec mais il faut chercher ailleurs pour trouver un fondement a la présence québécoise dans cette province. Aprés quel- ques jourspassés 4 Vancouver, je me suis vite apercu qu'il me fallait oublier les préceptes de la migration albertaine. Ils ne sont plus valables a l’ouest des Rocheuses. On nia toutefois pas a fouiller bien longtemps. II n’est que d’entendre le témoi- gnage des principaux intéres- sés pour étre rapidement fixé. Lorsqu’on leur pose directe- ment la question et que, suite a plusieurs entrevues, on pro- céde a des recoupements, deux thémes se détachent nettement en ce qui a trait aux facteurs qui tendent a enraciner les Québécois dans la région de Vancouver. Le premier est d’ordre physique. Il se référe en méme temps au paysage et au climat et révéle une sorte d’aversion pour le climat du Québec. Un peu comme si la douceur du temps était une condition sine qua non au bien-étre. Jamais de pelletage a faire, méme pas besoin de pneus d’hiver car il ne neige pratiquement jamais a Vancouver. On ne peut s'empécher de penser a une filiation avec la Floride des Québécois. Il n’y a d’ailleurs pas que le climat pour soute- nir la comparaison. Il y a aussi la mer et les plages 4 proximi- té. En été, c’est une habitude répandue que d’aller y faire un saut aprés la journée au bureau. Tous ne mettent pas ces considérations climatiques au premier plan mais tous les évoquent. Au centre-ville de Vancouver, presque chaque rue est bornée par la perspec- tive d’une montagne ou celle de la mer. Le paysage devient une présence quotidienne. Mais il n’est pas qu’un décor. Les possibilités qu'il offre pour la pratique de différents sports de pleins air ‘sont particuliérement intéressan- tes: voile, nautisme, randon- nées pédestres... etc. Sans qu'il neige 4 Vancouver, on peut y faire du ski alpin a moins d’une heure de route. Les avantages comparatifs - du site exercent un puissant pouvoir d’attraction. La sur- vie est plus aisée. Les Colombiens ont coutume de dire que s'il y a encore des Canadiens dans les autres provinces, c’est parce qu'il n'ont pas encore visité Vancouver. Le second théme référe 4 un rythme de vie, une mentalité, un bouillonnement culturel et intellectuel intense. Issu a la fois de composantes internes et diinfluences américaines, un nouvel écologisme semble se développer sur la céte Ouest que le Centre et I’Est ne connaissent pas encore. Ces thémes évoquent infailli- blement la Californie et le mode de vie qui la caractérise. Il y a une parenté évidente entre les centres de la céte Ouest. San Francisco, Los Angeles et Vancouver en sont les principaux pédles. Les Québécois l’ont d’ailleurs vite compris. En Californie aussi ils sont des milliers a aller se frotter 4 cet avant-poste de la civilisation nord-américaine. En comparaison, le Centre et l’Est paraissent plutét ternes et sans grande envergure. Ils sont tournés vers eux-mémes ou vers le passé et plus ou moins encroiatés dans de vieil- les traditions qui 4 la longue deviennent des freins a ]’inno- vation. Sur ce continent, de plus en plus, tout ce qui est nouveau vient de l’Ouest, de - 30 ans, od l'on peut se laisser vivre. la Californie surtout, le siége du Nouvel Age. La Colombie britannique, toute empreinte qu'elle est de royalisme et d’attachement aux traditions britanniques n’échappe ce- pendant pas a ce courant. En Amérique, les idées circulent beaucoup plus facilement dans l’axe nord-sud que dans le sens est-ouest, en dépit des frontiéres. La barriére des Rocheuses est plus qu’un obs- tacle physique. Elle refoule les gens vers la céte et les oblige a regarder vers la mer. Pendant longtemps il n’est venu que des individus, surtout des Chinois. Mais depuis quarante ans, l’aprés-guerre et le déve- loppement des communica- tions aidant, l’Asie s’ouvre devant eux. La boucle est bouclée. Aprés des millénaires de migration vers 1’Ouest, voila que la jonction se fait a Vextrémité de la _ course. L’Ouest et 1’Est se rejoignent. La civilisation orientale est a leur porte. Plus, elle est parmi eux. Vancouver et San Francisco n’ont-ils pas les minorités chinoises les plus importantes en Amérique du Nord? En_ général, les Québécois s’entendent sur le fait que cette présence exerce une influence bénéfique sur le milieu. Les Chinois semblent jouir d’un grand pouvoir d’adaptation tout en conser- vant une forte cohésion ethni- que et en restant fidéles 4 un certain nombre de traditions. Leur apport constitue presque une alternative, 4 coup sur, un enrichissement collectif. Mais il n’y a pas que les Asiatiques. Les villes de la céte Ouest sont de véritables carrefours ethniques. Il en résulte une dynamique que les Québécois en tous cas, consi- dérent comme créatrice. Ces derniers veulent y ajouter leur concours. Ils veulent partici- per a cette création collective. Collective n’est cependant pas le terme exact, car les valeurs véhiculées par ce Nouvel Age sont fonciérement individuel- les. On y exalte le “Moi” et les relations _interpersonnelles. C’est la recherche d’un nouvel équilibre valorisant |’individu dans sa différence. Une foule de moyens se développent qui permettent d’atteindre ce but. C'est d’abord la _ pratique d’une vie saine par le sport, une meilleure alimentation mais aussi l’expérience de la découverte a travers des théra- pies individuelles et de grou- pes et la pratique de techni- ques orientales ou originales de relaxation visant l’émanci- pation du moi. On parle de plus en plus d’un nouveau rythme de vie “West Coast” a la fois trépidant parce que les idées et les modes s’y renou- vellent trés vite mais aussi reposant, parce que basé sur une recherche d’équilibre. L’Ouest n’a pas ou peu d’his- toire. En conséquence il est capable d’intégrer des in- fluences et des expériences de toutes sortes. La société y est moins normative. “Je me sens comme un colon ici” disait un Québécois 4 Vancouver, en- tendant par 1a qu'il reste de la place pour la nouveauté, que les normes n’ont pas encore une prise trop contraignante et que l'initiative personnelle et les idées nouvelles peuvent s'y frayer un chemin. Les choses sont en mouvement et l'avenir s’avére prometteur. De toute évidence, il y a une filiation entre ces deux thé- mes, le physique et |’humain. Le climat, le paysage, la pratique du plein air et le contact avec la nature sont le prolongement des nouvelles valeurs, d’un nouvel art de. vivre. On voudrait y voir écologisme global. La fusion de l’homme dans son environ- nement renaturalisé, |’har- monisation de ]’étre humain dans son milieu. Le slogan touristique de la Colombie britannique _nvest-il__ pas: “British Columbia, — super- natural’? Conclusion C’est 14 une vision qui peut paraitre quelque peu idylli- que. Dans quelle mesure cor- respond-t-elle a Ja réalité? Peut-on soupconner ce dis- cours d’étre de rationalisa-— tion? N’est-il en définitive qu'une justification du geste de migrer? Difficile de le préciser. Bien que selon toutes apparences, les conditions soient réunies, il n’est pas — facile d’admettre que toute une société puisse vibrer au méme diapason ou que tous les membres d’une minorité, en l’occurence les Québécois, puissent vivre leur expérience sur ce méme mode. En fait, ce n'est stirement pas le cas. Méme si leur discours n’est pas sciemment trompeur, il em- bellit un peu la réalité. On est d’ailleurs assez vite miystifié. Néanmoins, il n’y a pas a en douter, c’est la réalité et du ‘yécu qu'il s’‘inspire et, méme s'il n’en décrit qu’un aspect, lequel n’est peut-étre, en fin de compte, qu’embryonnaire, ce discours suffit par sa seule existence, a rendre possible cette réalité. Enquéte parue dans ‘la “Re- vue de la vie francaise” éditée r le Conseil de la Vie Waniaice en Amérique. Pour en obtenir un exemplaire, écrire au Conseil, 59 rue d’Auteuil, Québec GIR 4C2 tél: [418] 692-1150. Se