Vera-Cruz est une jolie ville et des plus animées. Il y fait fort chaud. C’est pourquoi, chaque aprés- midi, les magasins se fer- ment, les persiennes se clo- sent, et tout s’endort, pour se réveiller plus tard sur une atmosphére de danses et de chansons. La cathédrale dresse sa tour blanche au centre de la cité. L’église avoisine le palais municipal, le jar- din public, le café A ter- rasse, tout le centre tur- bulent de la ville. Non loin de la, le long -de la mer; serpente une magnifique promenade dallée. Les échoppes étalent leurs col- lections de coquillages et leurs maroquineries en peau d’alligator. Des négrillons plongent dans l’eau bleue et raménent entre leurs dents blanches les pesos que leur jettent les touristes. Il est dangereux de s’aven- turer trop loin du rivage, car les requins infestent les eaux cdtiéres. Bleu est le ciel, d’un bleu si vif qu’il en paraft d’argent, et sa luminosité s’insinue jusque dans les moindres ruelles. La lumiére crue du jour dispense de tout éclairage électrique dans les maga- sins. Entre les pales ronron- nantes des ventilateurs, s’ouvrent des ronds vitrés, percés dans les toits plats, et qui brillent, pareils 4 des lampes. La population de Vera-Cruz est fort mélée. Les alluvions de trois continents ont peuplé le Golfe du Mexique. Arrivé- rent d’abord, en des temps anciens, les peuples asiati- ques qui devinrent les In- diens d’Amérique. Survin- | rent, des siécles plus tard, | les Espagnols ; et au bout de leurs mousquets des es- | claves noirs déportés d’Afrique. Tous ces groupes, brassés par les siécles, for- ment aujourd’hui le peuple vif et frivole de Vera-Cruz. | Les seigneurs castillans de l’epoque coloniale vivaient au Mexique comme dans un paradis terrestre. On ima- | gine le luxe dont ils s’en- touraient en visitant le mu- sée de Vera-Cruz. Ce musée Occupe une vaste demeure au pavé de marbre. II ren- ferme une cour intérieure, ornée en son milieu d’une jolie vasque et d’une fon- taine of s’ébattent des si- rénes de pierre. Il y fait si doux qu’on se croirait dans un salon tiéde et pla- fonné de ciel bleu. Le cou- rant d’air des arcades, la céramique des murs, une cascade intérieure qui re- tombe en nappe rafrafchis- sante sur la pierre, entre- tiennent unetempérature agréable. Les diverses piéces de cet hdtel particu- lier sont garnies de meubles espagnols. Les cuisines, or- nées de céramiques, avec leurs barils dans les coins, et leurs mortiers a piler les épices sur les étagéres, donnent le désir d’avoir vécu en conquistador au grand siécle de 1’Espagne. Nous buvons une biére bru- ne & la terrasse d’un café ou des musiciens nous don- nent la sérénade ; puis nous reprenons la route de Jalapa. Cette course en voiture dans la nuit mexicaine me laisse une impression féerique. ) ex SS Des lucioles aux feux verts celles. Des arbres en forme de parasol et d’une blancheur de fantéme agitent leurs bras | devant nous avant de fuir. | Nous traversons d’humbles villages. On y entrevoit quel- ques bonnes gens accoudés 4 un comptoir et papotant 4 la lanterne. De 1l’autre coté de la route, de petits Anes pointent leurs oreilles dans le soir. Immobiles et blancs sous le clair de lune, ils attendent le bon vouloir de leurs maftres. Ce dimanche midi, l’or- chestre symphonique de Ja- lapa donne un concert gratuit en plein air. Cela se passe sous le pont Xalitic aux ar- ches courbes. L’arcade sous laquelle les exécutants dé- plient leurs pupitres ouvre sur des contreforts badi- geonnés de chaux rose et <7 so aay ag (Bee e hens cession ey, ih Sm bondissent comme des étin- | ANY AS A l’orchestre exécute du Bee- thoven, du Charles de Bé- riot, et une oeuvre d’avant-|_ | garde due a un compositeur | mexicain. Les musiciens re- | vétent la blouse blanche. Parmi eux, je rencontre un Canadien de Vancouver. La musique symphonique est peut-étre le seul domaine ou régne l’entente univer- selle. Européenne par excel- lence, elle a conquis le monde ; et dans tous les bons orchestres, que ce soit A | New-York, 4 Tokyo, ou dans | l’7Etat de Vera-Cruz, figu- | rent en bonne place des in- | terprétes de culture et d’ori- gine occidentales. (A suivre ) qui supportent un étage de | pittoresques maisons. Dans ce décor d’opéra comique, Echec et Mat. Par Jennifer Lulham. ‘*Le Roi est mort ! Vive le Roi !’’. Le dernier épi- sode de la vie d’Henri VIII, nous a été présenté diman- che par la CBC. Cette fois, nous sommes plus conscients du cadre. Les personnages, moins do- minants, semblent étre les figures d’un jeu d’échecs politique. Henri, colosse aux jambes difformes et d’hu- | me | thies protestantes. Elle se meur instable, vacille entre une sournoiserie enfantine | et une sentimentalité rado- | teuse en passant par de brus- ques coléres. La nouvelle compagne est la pieuse Catherine Parr, déja deux fois veuve, qui 1’ épouse par devoir. [1 faut avouer aussi qu’il y a eudes machinations du parti Pro- testant mené par Cranmer et deux gaillards ambitieux, les fréres Seymour. Voyant faiblir le roi, les Catholiques se dressent ou- vertement contre les Pro- testants. L’Evéque de Win- chester, Papiste fanatique, brOle et torture. Dans une scéne hallucinante, il inter- roge mielleusement une jeune femme en train d’étre écartelée. Les Protestants ne craignent méme plus la succession de Mary, fille ca- tholique d’Henri. Le roi joue un double jeu avec les deux partis. Afinde mourir dans la grace et pour faire oublier le rapt des mo- nastéres au Pape, il part faire la guerre contre les Luthériens en France. Catherine Parr doit elle- méme cacher ses sympa- trouve en danger, ses ser- vantes sont saisies et Win- chester réussit A em- poisonner l’esprit faible du roi contre elle. Henri signe un document quiva1l’envoyer 4 la Tour de Londres. Avertie et terrifiée, Cathe- rine se cache dans une cham- bre sans lumiére et pleure éperdument. Cranmer lui | conseille d’oublier ses scru- | pules religieux et elle va quémander le pardon auprés du roi. Dans une petite cour entou- rée d’un mur crénélé, ov l’o0n entend chanter des oi- seaux, la réconciliation d’ Henri et de Catherine a lieu. Il est temps, les gardes ar- rivent pour arréter la reine. Violemment, Henri déchire le mandat, se léve pour me- nacer Seymour et tombe fou- droyé. Il ne quittera plus son lit. Délirant, il ‘“sweet Jane’’, la jeune fem- me morte il y a longtemps en donnant la vie 4 Edouard. | Maintenant, le petit prince héritier devient le pion fra- gile des fréres Seymour dans leur poursuite du pouvoir. Cinq heures aprés la mort d’Henri, Thomas Seymour demande la main de la nou- velle veuve. Face 4a des al- ternatives impossibles, elle Accepte froidement. Ainsise termine ce jeu d’intrigue, pourtant les piéces restent en position pour une série nouvelle. L’ambiance du puzzle est soulignée par des vues de portails carrés, s’emboftant l’un dans l’autre et des cou- loirs déserts. Le roi, seul, sans son fou fidéle et son épouse, se retire dans ses souvenirs. Les prétres et courtisans cupides attendent sa mort comme des vau- tours. Les images mémorables | sont : le roisuspendu comme une marionnette armurée qu’ | on laisse descendre sur son parle de | cheval de guerre au roule- ment du tambour; le roi 4 la chasse au faucon, criant ‘*A la volée’’ avant de mener la cavalcade au galop a tra- vers l’écran. Saisissant est le visage fin de Rosa- lie Crutchley qui comme Catherine Parr rappelle un dessin d’Holbein. Evidemment, c’est Henri qui domine les six épisodes. Keith Mitchell, qui joue ce role avec sincérité et une Profondeur de conception, fait vivre le roi dans nos; imaginations. Son rire, sif- flant et expansif est, pour moi, inoubliable et tout-a- fait 1’essence d’Henri VIII. LE SOLEIL, 21 MAI 1971, Ix