me Moustigue pactigue Un court instant de grande clarté Avec cent ans de retard, écrit Yourcenar, Béde le Vénérable nous rapporte des événements liés a la christianisation de l’ Angleterre. Un fait sans grande importance. Une anecdote se déroulant dans un des sept royaumes saxons construits 4 force de sang et d’ignominie sur l’ile abandonnée aux barbares par les romains. Ce n’est encore que le début de massacres sans fin. Des guerres saxonnes intestines ont succédé aux conquétes romaines ; les Celtes jetés 4 la mer, les Danois, a leur tour, envahissent l’ile. Au sein de ces carnages, des moines apportent une parole nouvelle a des barbares aux croyances obscures, souvent pour se faire écharper de méme. II aura toujours été nécessaire a toute civilisation, aussi minuscule soit-elle, de se construire dans |’horreur des hécatombes. Je ne connais pas d’exception. Méme le bon sauvage s’y est montré fidele. En 627, Edwin, roi de Northumbrie recoit un missionnaire chrétien disposé a le convertir, lui et son peuple de fétichistes. I] hésite, il s’en référe 4 son ministre du culte, lequel considére que le jeu en vaut peut- étre la chandelle. S’adressant 4 son chef de clan, ce dernier, poéte, identifie la vie des hommes 4 un vol de passereau. Un oiseau effrayé par une nuit de tempéte, entrant, par inadvertance, dans la salle d’apparat ot le roi prend son repas et en ressortant a l’autre bout, aprés un court instant de grande clarté, de rumeurs et d’impressions nouvelles. Soit un bref moment lumineux entre deux obscurités. Une étincelle. Un peu de clairvoyance entre deux absences ; cependant assez de temps pour poser mille questions et craindre follement le retour des ténébres. Edwin accepte, son peuple est converti. Toutefois, cet instant de lumiére chrétienne n’aura duré que le temps d’un éclair : Edwin est tué six ans plus tard et l’idolatrie, danoise cette fois, embrase |’église de York. Cependant, parmi certaines régions du monde ot les grandes religions n’ont pas eu de prise, on parle rarement de ténébres futures. Le thane saxon n’a vraisemblablement pas eu cette pensée romantique. C’est Béde lui-méme, sans doute, qui la lui aura prétée. Quand on rencontre, en Afrique centrale, des peuples 4 n’avoir été touchés d’aucune maniére par le monothéisme, on n’ observe pas, associée a la mort, d’extinction des lumiéres. Sur terre, les corps meurent, pourrissent, se désintégrent cependant, les esprits perdurent. L’dme des ancétres hante les vivants. Elles exigent le plus grand respect et on le leur accorde volontiers, comme on veut a son tour jouer plus tard les ancétres vénérés. Bien traités, ceux-ci conseilleront et protégeront au mieux la descendance. Méme la Rome, a ses premiers Ages, n’avait pas d’au-dela. 8