12 Le Soleil de Colombie, vendredi 19 octobre 1979 Le frelon La feuille de papier était déja insérée dans la machi- ne a écrire lorsque arriva en vol, dans le cabinet de tra- vail, un insecte, un gros insecte, un frelon. ~ S’asseyant sur le chariot, qui transportait les feuilles de papier 4 droite et a gauche, il polit, avec les jambes de devant, la téte et la poitrine, puis, avec celles de derriére, le derriére, 14 ot se trouve, exposé ou caché, selon la position de |’insec- te, l’aiguillon. On m’a dit que huit fre- lons pourraient tuer un che- val. Est-ce que je pése, moi, le huitiéme d’un cheval? D’ailleurs, de quelle sorte de cheval s’agit-il? D’un belge au sang froid? d’un island pony? Quoi qu'il en soit, aban- donnant la machine a écrire, a la maniére d’une souris qui, pour arriver dans son trou, est obligée de ramper autour d’une chatte dorman- te, je m’assieds a une table ronde sur laquelle sont. en- tassés tant de*livres, pas encore lus, que j’arrive a peine a y créer une place pour plume et papier. Mais mon théme (NB un théme politique) reste dans la ... Il est arrivé un frelon. Iln’y avait pas longtemps, on avait pu lire dans le journal local que dans le Loiret, pas loin de notre village, le chauffeur d’une auto avait trouvé la mort a cause d'une guépe entrée _ dans sa bouche. “Tl faut remarquer que, en général, on ne fait pas trop attention aux cas dans les- quels les insectes s’ingérent dans le destin humain. Le chasseur dans les fo- réts d'Orléans a a peine visé son butin qu’un moucheron lui entre dans l'oeil. Le tir n’a pas lieu, mais personne ne sen rend compte. Et ot peut-on lire de ]’amour ar- dent qui a pris une fin soudaine lorsque les amants se sont couchés sur une four- miliére? Méme les plans que j'ai dressés pour l'heure prochai- ne changent soudainement et imprévisiblement de cours, puisque, une fois le frelon arrivé, je reste isolé, impuissant. Autrefois, il y avait chez nous un Vieux noyer, et dans son trone vide, un nid de frelons. D’une échelle, on y jeta une méche. L’arbre, livré aux flammes, devint chaud. On y courut avec de grands pots d'eau. L’arbre continua long- temps a émettre de la fu- mée, comme si c’était une cheminée. ‘Au bonheur des frelons, la plupart se trouvaient, lors de la catastrophe, au travail, non pas a la maison. Car l’heure du midi, que les Francais passent chez. eux, n’avait pas encore son- né. Leurs logements étaient certes détruits, mais pas eux-mémes. Aprés un cer- tain temps, ils se déplacé- rent chez nous, sous notre toit. Compris? Le frelon, assis mainte- nant sur le tas de livres, tout. __ pres de moi, au niveau de mes yeux, me regarde de ses propres gros yeux, dont chacun consiste en plusieurs petits. Il m’incline la téte d’une vitesse croissante. C’est un frelon hystérique, il le sait bien lui-méme. Il arriva deux amis atten- dus, honorables membres de la brigade des pompiers | bénévoles. Aprés avoir pris le verre coutumier, ils sorti- rent une échelle automati- que et, se mettant le casque sur la téte, le jeune cria du toit: “Ne vous inquiétez pas!”. Puis, dégageant deux briques du toit, il étendit la main dans le trou, d’ot il retira une communauté de frelons, laquelle, jetée par terre, s’avéra étre d’un mé- tre de longueur, cellule sur cellule, une masse sauvage de chambres d’enfants, les gardiennes partout. Puis les messieurs couvri- rent le toit d’un poison pou- dreux blanc, a!’intention des retardataires. La ville des frelons qu’ils venaient de jeter par terre, ils la mirent en flammes. Comme par coincidence, j'ai entendu dire par le mai- tre d’école villagedis que les écoliers, dans une composi- tion concernant les pompiers meéritoires, avaient mention- né les batailles fréquentes menées par ceux-ci contre les frelons. La plus courte de ces compositions était, celle d’une jeune fille, qui avait écrit tout simplement: “Faut-il tuer les frelons? En effet, il le faut, car ils sont méchants.” Le frelon se trouve main- tenant assis sur mon épaule. Je ne porte qu'une fine che- mise d’été, le col ouvert. Je reste assis, immobile. Lui marche. Il fait le tour du coin de mon col, se proméne au bord ot. commence la peau, met pied sur pied — et ilena tant! — et se met 4a tra- verser en diagonale la surfa- ce de la peau qui couvre le cou et la poitrine. Qu’est-ce que j’étais en train d’écrire? Ah oui! C’est que le Nouvel Observateur, en général un hebdomadaire bien sympathique, devrait avoir honte. Car on peut lire dans celui-ci que Die Zeit et la Frankfurter Allgemeine ont prononcé leur inquiétude au sujet de l'état actuel de l'économie frangaise. C’est vrai; je l’y ai lu moi- méme. Cependant, le Nouvel Observateur en tire la conclusion que derriére ces déclarations de la part de la Zeit et de la Frankfurter Allgemeine se trouve le chancelier de la République Fédérale, M. Schmidt — bref, que ce monsieur avait, non pas écrit, mais fait écrire. Mais ¢a par exemple! Une telle implication est, a mon avis, éhontée. Comment peut-on former de telles opi- nions sur nous, bons démo- crates que nous sommes, de nous, qui écrivons nous-mé- mes ce que nous pensons nous-mémes, tous seuls, sans M. Schmidt! : Ah, que j’aurais écrit du mal, si le frelon n’était pas arrivé! Actuellement, je res- te tranquillement. assis, jus- qu’a ce qu’il parvienne a sortir de ma chemise. Enfin, -il doit rentrer, car il est déja midi. A table! Traduit de l’allemand par Leon HURVITZ. [SUITE] Une pause, une pipe, un coup de whisky et le moral restait au plus haut. Quant aux braves chevaux, tout heureux d’avoir, pour un moment, réussi a se débar- rasser des mauvaises mou- ches noires, ils se régalaient de I’herbe des berges et des sous-bois: voisins. La jour- née était déja assez avancée, et nous décidames de gagner encore quelques miles avant le campement de nuit a la premiere clairiére offrant la provende des bétes. Ces derniéres se comportaient trés bien, ne nous ayant occasionné, depuis le départ, aucun ennui, vaillantes et dociles sur la piste, ce qui n'est pas toujours le cas si l’animal n’est pas réellement dressé et entrainé a ce travail de pistard. En effet, trés souvent, les poneys indociles ou bien ne suivent pas bien le leader, ou bien s’arrétent pour déguster une herbe trop tentante, ou mé- me se frottent contre les arbres au grand dam des paquetages pour atténuer moucherons qui les rendent fous. Cependant, depuis quelques heures, le pinto semblait sensible de l’anté- rieur droit et par moment marquait une certaine rete- nue, et nous en étions trés préoccupés. Alors que le soleil dispa- raissait derriére la ligne des arbres, nous efimes a traver- ser un petit creek facile qui serpentait dans une sorte de petit vallon, coulée herbeu- se parsemée de bosquets de saules et de cotton-wood, qui nous procurait la plus idéale des places pour un camping. A Yembouchure du ruisseau, la riviére présentait une sorte de plage de fins gra- viers et sablés charriés par les courants. Nous avions d’ailleurs noté cet emplace- ment ainsi\que d’autres pos- sibles sur le topo que Ma- rius, bon dessinateur, avait établi, sur les indications de Jo; ce qui prouvait, si besoin était, sa parfaite connaissan- ce de la région, et ceci 4 un mile prés. Nous décidémes donc de faire le camp pour la nuit, et aussi de passer au repos la journée du _ lendemain, d’abord pour donner des soins au pinto, et aussi pour prospecter le lit de la rivie- re. La soirée était magnifi- que, le lieu vraiment idéal pour le pacage des chevaux et l’installation de notre tente dans des bouquets de taillis, restes sans doute des grands incendies de trés anciennes années. Les poneys entravés se rassasiaient de l’herbe fine du vallon; et le repas pris, dans le concert des clarines des bétes se mélant aux bruits divers de la nature, nous gofitions le charme en- sorcelant de cette vie sauva- ge, mais pure, qui nous en- tourait: frisselits du vent ‘dans les hautes branches, fond sonore des eaux brisées par les rochers, coup de trompe des engoulevents plongeant du haut du ciel déja noir, appels de bétes dans les grands bois accro- chés aux versants des mon- tagnes plus proches. Et les chevaux mis a la corde, les derniers tisons noircissant, la tente refer- mée, la. grande nuit des Rocheuses nous enveloppait lentement... Le lendemain quand nous efimes laché les poneys pour leur repas matinal, nous nous apercfimes que le pinto paraissait souffrir davanta- ge de son antérieur et com- mencait a boiter bas. Ce fut, pour nous, un rude coup car nous ne pouvions continuer dans ces condi- tions notre marche en avant (ce qui n’avait qu’une impor- tance relative), mais notre retour devenait problémati- que et fonction de son indis- ponibilité. Nous ne pouvions, en effet, le remettre sur la | piste en cet état, sans crain- dre une plus forte avarie, méme en le déchargeant complétement de son far- deau. A l’examen, ses tendons paraissaient intacts, mais en nettoyant la sole du sabot, nous découvrimes un caillou pointu qui s’était encastré prés de la fourchette et chaque pression sur le sol devait certainement lui cau- ser une forte douleur. Ce ne fut pas une petite affaire que de !’arracher, car nous n’avions aucune prise, ni pince, et seulement nnos couteaux. Et l’animal, bien que doux a I’ordinaire, réa- gissait assez violemment a chacun de nos essais. Enfin, aprés un temps assez long, l’un tenant la Journal électronique La livraison d’un jour- nal électronique a eu lieu, a titre expérimental, au Canada et en Europe simul- tanément et avec une rapidi- té jamais égalée. En effet, des téléspectateurs 4 Gené- ve ont pu lire les nouvelles presque aussit6t qu’elles étaient acheminées par fil de Montréal et Toronto. Ce journal électronique a été livré par l’intermédiaire de Télidon, le vidéotex avant-gardiste canadien en matiére de télévision bilaté- rale. La livraison du journal a pris place dans la semaine du 20 septembre, au kiosque du ministére fédéral des Com- munications, au pavillon du Canada, dans le cadre de la prestigieuse exposition in- ternationale Télécom 79, a Genéve. Les visiteurs ont pu ob- tenir nouvelles, bulletins de météo et manchettes spor- tives de derniére heure grA- ce a quatre téléviseurs dotés du Télidon. Télidon, le systéme vidéo- tex technologiquement le plus avancé du monde, a été concu par les chercheurs et les ingénieurs du Centre de recherches sur les communi- cations (CRC), dans la ban- lieue d’Ottawa. La technologie de Télidon permet la présentation de dessins en couleur d’une grande qualité et se préte a toute une gamme d’applica- tions telles que la recher- che de l'information, le trai- sement de données, la com- position de texte et le cour- rier électronique. Les quatre terminaux Té- lidon installés 4 Genéve ont permis au public d’avoir ac- cés a l'information stockée jans la base de données d’un ordinateur du Centre de re- sherches sur les Communi- zations, a Ottawa. Dans le cadre de cette expérience, Téléglobe Canada a.affecté, a titre exclusif, un circuit bilatéral empruntant le cable télépho- nique transatlantique. La base de données du CRC renferme toute une gamme de renseignements portant, entre autres, sur le tourisme, l’histoire, les fi- nantes et l’enseignement, et auxquels s'ajouteront main- tenant les nouvelles, la météo et les manchettes sportives du jour. Avant leur stockage dans la base de données, les nouvelles sont répertoriées par ordinateur sous diverses rubriques qui en facilitent le repérage. Les utilisateurs du Téli- don téléphonent a |’ordina-’ teur qui leur présente sur ’écran d'un téléviseur équi- pé a cette fin, un index des sujets stockés. L’utilisateur presse alors les touches d’un clavier numérique, assez semblable a une calculatrice de poche, pour indiquer les pages qu'il désire. © L’auto a eu raison des:che- vaux. Maintenant, c’est a nous qu'elle s’en prend. N’est pas un grand chef quiconque ne’se réjouit pas sincérement des succés de ses subordonnés. Une faute partagée avec quelqu’un lie davantage qu'un mérite commun. Un pére est un homme qui espére que son fils sera l'homme exemplaire qu’il au- rait voulu étre lui-méme. .téte, l’autre le sabot, nous piimes extirper ce caillou, et nous nous rendimes compte que |’inflammation commen- cait et que du pus se formait déja. Il était temps... Nous avions, heureuse- ment, dans notre boite a pharmacie, du désinfectant dont nous fimes une bonne imprégnation. Et, aprés avoir entouré le sabot dans une toile de sac bien rembourrée de feuilles, nous le lachimes de nouveau avec ses compagnons. Si, pour nous, le souci et la crainte d'un mal plus sérieux avaient disparu, il n’en res- tait pas moins que nous devions changer. totalement notre plan de route. I] ne pouvait, en effet, étre ques- tion de repartir avant plu- sieurs jours pour permettre la cicatrisation totale de la plaie. Aprés réflexion, nous dé- cidimes de camper définiti- vement a cet emplacement et d’aller a la découverte le lendemain, l’un gardant le camp, l’autre prospectant avec un seul poney, pour avoir une idée de la région située en amont de la rivie- re. Marius, qui désirait faire cette petite «excursion»,par- _ tit done au petit jour et je restai moi-méme pour la surveillance des chevaux au — repos, et aussi passant mon temps 4 laver les sables a la sortie du creek et le long des plages. Etait-ce le coup de main et Vhabitude aidant mais: il semblait que la teneur en couleur jaune était plus ac- ‘centuée que les jours précé- __ dents, et les battées elles- mémes étaient plus rapides. J’avais repéré, & une cen- taine de métres de notre campement, un emplace- ment ow les eaux semblaient avoir accumulé, depuis des ans, et 4 chaque débacle des glaces, une énorme quantité de sable et de fins graviers dont le lavage promettait d’étre raisonnablement pa- yant. Et ce fut au cours de l’aprés-midi que j’eus le joie de voir au fond du poélon un tout petit grain d’or (oh! pas une fabuleuse pépite), mais enfin autre chose que la poudre encore sale des pre- miers lavages. C’était bien la le signe que | _la riviére sur laquelle nous travaillions était bien auri- fére, mais de 1a a trouver les terrains nourriciers, il y avait un pas de géant que nous n’espérions pas fran- chir.