L Art dans la Vie de l’Homme Par Ladislas Kardos Par la suite, la Renaissan- ce sécularise l’art. Les oeu- vres de Tintoretto peuvent bien représenter des scénes aux écritures, mais ses ju- gements derniers sont des fétes mondaines:les femmes sont provocantes et les ap0- tres vétus de superbes robes. L’intensité et la sin- cérité des premiers pein- tres chrétiens est rempla- cée par la science et la technique. En effet, avec |’ évolution économique, la ri- che bourgeoisie joint l’Egli- se comme Dame patronnesse des artistes. Les grands de ce monde, en accord avec le riche clergé, font travail- ler les peintres. Et le clergé tout comme les Médicis, re- légua l’au-delA pour plus tard.. Tout le monde profite de la vie, tant qu’elle dure. On parle moins de la gloi- re de Dieu, que de la gloi- re des Médicis et des Bor- ghése. Les maternités de Fra Angélico sont rempla- cées par des baptémes cé- lébrés comme réunions é1é- gantes au service de celui qui paye. Ni l’art, ni l’ar- tiste ne sont libres. L’ar- tiste peint sur commande. Léonard de Vinci peignait selon le goft de ses mécé- nes. D'aprés ce que j’ai lu de lui, il m’est permis de croire que, s’il avait été libre il n’aurait peint, ni portraits ni batailles. Peut- étre n’aurait-il méme pas peint la Céne, qui sait ? Il aurait peut-étre peint se- lon son inspiration. Il disait ‘*Les taches noires, les cra- quelures d’un vieux mur ins- pirent 4 1’invention. On peut | y trouver des paysages, des scénes de batailles, des at- titudes, des poses intellec- tuelles, des visages , des fleurs et mille autres choses qui excitent... et dans toute cette confusion on trouve Vinspiration de créer. 2”, C’est une pensée trés mo- derne, l’essence méme de la peinture moderne owt la couleur et les formes, au fur et 4 mesure que 1’oeu- vre avance, inspirent le peintre. Léonard' disait aus- Sis: 6e “peintre: aatte. ct rivalise avec la nature.’’ Et Picasso développe cette pensée en disant le peintre continue la nature’’ Mais en dehors de cette ‘¢confession’’ de Léonard de Vinci, la peinture de la Re- naissance est froide, calcu- lee, et manque d’inspiration. Elle correspond trés bien A état d’esprit de l*yhomme. Il se croit tout puissant puis- qu’il est riche. Copernic re- découvre l’univers et les | Lombards. découvrent le chéque. Machiavel donne la recette du parfait politicien,’ pour qui tout sentiment est exclu. Les guerres sont pri- vées de passion et réduites A des manoeuvres savantes. Rien d’étonnant que les ar- tistes de ce temps donnent des recettes, des formules. des prescriptions précises et indiquent comment il faut faire pour créer une oeu- vre d’art. Il fallait que le tableau soit bien composé, que l’anatomie soit exacte, que la perspective se perde dans le lointain etc... La. valeur dépendait de la per- fection de l’exécution et de l’observation stricte des ré- gles. Dolci, un des rares critiques de son temps qui était l’interpréte le plus é- -couté: de l’art vénitien, di- sait ; ‘*Quand le peintre i- mite bien les teintes et la morbidesse des clairs, ain- si que le caractére propre des objets,il fait paraftre ses tableaux vivants auxquels il ne manque que le souffle. La tache des couleurs est de montrer la lutte entre la lu- miére et l’ombre pour que les figures paraissent ron- des et plus ou moins éloi- gnées l’une de |’autre.’’ Et Giorgio Vasary disait: ‘“‘la grandeur de l’art chez celui-ci naft de son appli- cation, chez l’autre de 1’é- tude,chez celui-ci dans l’i- mitation, et chez cet autre de la connaissance des sciences...’’? Et plus tard il s’exclamait ‘Quelle est belle la perspective!’’ Et le plus grand, Michel- Ange, disait : ‘‘Il n’ y a pas de meilleur moyen d’expri- mer le mouvement que par la représentation de la flam- me qui, selon Aristote, est lélement le plus actif. Et comme la flamme part d’une base large pour terminer dans une pointe, le peintre doit suivre cette régle: fi- gure pyramidale et serpen- tine se. multipliant par un, deux ou trois. Tout le mys- tére de l’art est compris dans ce précepte. Si l’ar- tiste applique cette loi il posséde le principe de la beauté.’? Voila ce que di- sait un homme comme Mi- chel-Ange, le plus grand perfectionniste de tous les temps. Aussi rien de son oeuvre ne trahit le tourment de son Ame. Il était homo- sexuel et en souffrait cru- ellement. Son visage trahit ce qui se passe en lui, pas son oeuvre. Celle-ci peut nous inspirer par la gran- deur de sa conception, par la perfection de l’exécution, la science de la chimie des couleurs, la mathématique de la composition, mais je ne découvre pas l*homme, l’artiste, mon frére derrié- re son oeuvre. L’Art de la Renaissance me _laisse la bouche ouverte d’admira- tion, mais mon coeur ne bat pas plus vite. Il est entendu que le grand artisan était toujours celui qui, avec les moyens tech- niques et intellectuels, pos- 'sédait une grande sensibi- lité et cette étincelle de genie qui lui permettait de comprendreasen temps et de préssentir l’avenir. Mais a- vec l’évolution de notre es- prit nous avons tendance A donner de plus en plus d’ importance 4 cette étincelle a la force de la personnali- té de l’artiste et A minimi- ser l’importance des moyens techniques que nous reje- tons, comme des béquilles, de peur d’alourdir 1l’envol vers une plus grande liber- té de l’esprit et de nos moyens d’expression. L’Ecole flamande représen- tait une grande innovation sur l’Ecole italiénne.Grune- wald, Jéronimus Bosch, les Breughels étaient des pré- . curseurs du surréalisme et de l’art abstrait. Ils détrui- saient un monde pour en construire un nouveau. Le subconscient se réveille.L’ homme n’est plus vu de |’ extérieur seulement comme dans l’art égyptien, grec et médiéval, mais ces artistes montrent leurs entrailles. Ils ne peignent plus seule- ment des jolies femmes et des générauxvainqueurs, mais des paysans, des pau- vres d’esprit. Ils nous mon- trent, que 1l’4me humaine contient autre chose que I’ amour, la beauté, la foi. La conscience sociale se réveille. La conséquence directe de ‘Matthias Gruenwald est la sécurité sociale, celle de Martin Luther, la politique anti-coloniale de notre épo- que. Ces peintres utilisaient encore les techniques de leur temps : des couleurs liquides, des pinceaux fins.. Ils soignaient les détails..., mais ils nous montraient déja ce qui était derri¢re l’image. Pour faire ce qu’ ils faisaient, il ne suffisait certainement pas d’étudier les lois de la perspective et l’anatomie du corps hu- main. Il y en a aussi, qui déja, utilisent de plus grands. pin- ceaux :... ainsi Frans Hals peignait quelquefois avec de plus grands pinceaux. Les personnages de ses tableaux deviennent plus vivants. Ils ne posent pas comme chez un Velasquez. L’artiste nous les montre, comme s’il les avait pris avec une Candid Camera. Les grands pin- ceaux permettaient une cer-]| taine liberté, par la vitesse avec laquelle l’artiste pou- vait enregistrer ses pensées et ses notions. Le dix-huitiéme siécle est illustré par Watteau. Ses pastels, ses scénes galantes peintes dans des couleurs tamisées décriventmieux que des bibliothéques entiéres la décadence d’une époque vouée a disparaftre. Ce sont des morts qui s’amusent, déguisés en belles femmes et galants hommes. Des fan- tOmes qui ne savent pas en- core qu’ils n’existent plus. Je compare souvent la mu- sique de Debussy A Watteau. Debussy vivait lui aussi A] la fin d’un monde... La Mer, Nuages sont comme des é- chos nostalgiques d’un passé qui ne reviendta plus. A suivre. Isabelle | Par Jacques Baillaut - Monsieur de Clair Matin s’était levé de bonne hu- meur, avec sur les lévres un petit air joyeux, dés les premiéres lueurs du jour. Muni de sa palette et d’un jeu de pinceaux, l’enchanteur enchanté avait décidé de re- peindre la nature aux cons leurs de 1’été. | Isabelle fut ravie de le voir | 4 l’ouvrage, de méme que le lapin, assis sur son der- riére, fatigué de grignoter de l’herbe séche au fond de son terrier et qui révait de jeunes pousses, de cour- ses folles, de cabrioles, de galipettes, en compagnie de sa jolie voisine, la lapine. L’artiste matinal, bien vi- te, a barbouillé le ciel d’un bleu pale délicat, jeté des fleurs de-ci de-l4 dans les parterres de l’universi- té, dans les jardins de la ville et des crocus jaunes et violets devant la caisse populaire de Maillardville. Sur son épaule, un oiseau s’est posé ; il chante les beaux jours retrouvés et dans le jardin humide de ro- sée, un chien fou de joie jappe, court, se roule un peu partout, surpris de voir son ombre qui le poursuit. — COV ce du mardi au samedi, de mi- ce 47 p.m. LE SOLEIL DE VANCOUVER, 19 MARS 1971, IX.