Le Moustique Volume4 - 7° édition ISSN 1496-9294 be sitint OANA ed ittérature Rick le pécheur, assis sur un pliant, finit de tailler une pagaie cérémonielle. Devant lui, sur une table basse quelques sculptures. II ne se presse pas, il a le temps. Tout en gravant dans le bois de cédre l'image du saumon alliée a celle de l'oiseau mythique, il se rappelle le passé récent, avant l'arrivée des Blancs. En ces mois chauds, les gens de sa tribu, les Songhees quittaient le village; ils s'embarquaient sur la mer en canots pour aller pécher le sockeye tandis que les femmes, dans les foréts, cueillaient les baies; une fois séchées, elles assaisonneraient poissons et gibier pendant I'hiver. Il réve. A ce Tloo-qwah-nah ou les siens avaient été invités a fraterniser avec les tribus du Nord. Dans la grande loge, serrée contre sa mére, il écoutait les chants, regardait les danses rituelles au son des tam-tams. Des personnages masqués mimaient le geai a créte bleue, la marmotte rondelette, le Ah-mah, oiseau du Nord au cri lancinant, ou encore ce méme cédre jaune quill était en train de polir. Il était trés jeune alors. Il se rappelle ces mois de réjouissances, de spectacles, de bonheur, de rires avec ses fréres. Le vieil Indien fait glisser son couteau lentement sur le bois. Indifférent, sourd a la foule de touristes qui tournent autour des yachts de luxe, des amuseurs publics, des marchands de pacotille, des boutiques de frites et de saucisses chaudes. En ce temps-la, la mer, la forét, la terre offraient une nourriture abondante qu'on partageait lors du Tloo-qwah-nah. Puis les Blancs avaient interdit les potlatchs. Un policier, haut de taille et large d'épaules, s'arréte soudain devant lui, le fixe un moment et demande abruptement: - Puis-je voir ton permis de travail? Rick le pécheur ne léve pas la téte. - Tu sais bien que tu n'as pas le droit de travailler sur le port sans permis, alors? - Je suis chez moi, ici en terre indienne, depuis plus de quatre mille ans, de toute éternité. - Qui, mais aujourd'hui, nous sommes en I'an deux mille. La loi, c'est la loi, et c'est Page 3