Il reprend de plus belle : — Imaginez un instant que je sois intelligent et cultivé... — Je n’y vois aucune difficulté ! . et, tout en étant d’origine modeste, qu’il m’ait été donné, grace a ces qualités, de faire des études poussées. Je suis né au seiziéme siécle en Es- pagne et ma condition ne me permet pas de choisir mieux que la robe ; or cet état me convient parfaitement, car je suis trés sincérement croyant et profondément religieux. Grace a cette intelligence et également A une grande force de travail, en plus d’un naturel particuligrement bon et géné- reux, je poursuis une carriére brillante et suis éminemment apprécié de mes supérieurs en l’Eglise. Au fil des années, les grands services rendus et l’ex- cellente réputation qu’est devenue la mienne me désignent au poste de Di- recteur de l’Inquisition. Fonction me faisant grand honneur et que je m’ap- préte 4 remplir dans l’enthousiasme et le soutien de mes convictions les plus intimes. Aux premiers jours, je suis mis en présence d’un hérétique notoire qui, dés l’approche, me confond et me trouble fortement ; cet individu ignoble s’avére étre perspicace, éduqué et méme sympathique, assez pour m’en faire perdre mes repéres. Je m’attendais 4 avoir une tache assez sim- ple et j’ai 1a en face de moi un étre incompréhensible. Comment, possédant une telle pénétration, ce type peut-il en arriver a risquer de perdre une vie éternelle de bonheur pour de simples considérations terrestres ? Une situa- tion inimaginable ! Je suis sidéré. Cet homme, il faut l’aider 4 tout prix, méme contre sa volonté, surtout contre elle ; on ne peut pas lui laisser com- mettre une impardonnable erreur allant totalement a l’encontre de ses inté- réts les plus fondamentaux. Ce serait un crime de |’abandonner & ses fan- tasmes autodestructeurs. Affolé, je consulte les livres sacrés ; je n’ai en effet jamais imagi- né une situation semblable et, soulagé, j’y lis qu’a le torturer et ainsi a l’a- mener a abjurer ses aberrations, il peut regagner son droit au Paradis. Je commande donc qu’on le soigne. La consternation est totale quand on ap- prend sa résistance aux douleurs, méme les plus insupportables. Comment autrement sauver ce malheureux ? Un autre livre m’apporte la solution : si au biicher, il se consume, quand bien méme il ne renierait pas ses croyan- ces, la punition le délivrerait du péché. Qu’on le brile alors ! Le soir, aprés l’exécution, l’angoisse me quitte. Je m’endors comme un bienheureux et je suis fier de moi : j’ai protégé ce pauvre étre, j'ai sauvé son Ame. — Diable ! Elle est sinistre votre histoire. Pourrait-on vraiment provoquer tout ce mal en voulant répandre le bien ? 14