Le Moustique ...Suite de Souvenirs d’enfance gardait prisonniére dans un donjon. Elle cherchait du haut de sa tour le preux chevalier qui viendrait la secourir. Faute de marionnettes, j’ai trouvé une brosse a dent dont la chevelure blanche et hérissée et le port altier, inflexible, ferait sans €quivoque le pére tyrannique. J’ai retiré de mes cheveux une barrette que je pouvais promener ouverte sur la scéne, ou méme... présenter assise dans un coin en proie a sa détresse : acte impossible a une brosse a dent qui restait le parfait symbole d’un male autoritaire. Ce monde de fantaisie était inévitablement interrompu par l'entrée urgente de quelqu'un avec une cruche d'eau a remplir, des mains sales a laver ou méme, pire encore, un prétendant au tréne. “Malheur a toi, Monique, si on découvrait ton théatre en place!" “Allez, ouste!" Et on me faisait décamper sans aucune considération pour ma dignité offensée. C'était injuste que mes ainés aient droit Aa une session privée, rien qu'en faisant tourner la clef. Un jour j'ai décidé de m'enfermer a clef et de godter au plaisir d'une grande séance de marionnettes. Aprés quelques minutes, la poignée de la porte tourna sans succés; les pas s'éloignérent dans l'escalier, puis remontérent, suivis d'un coup persistant a la porte: "Qui est donc la? Dépéche-toi? Ca presse pour moi!" Avec regret j'ai reconnu le ton urgent de mon frére Llewellyn et je me suis approchée de la porte pour la débarrer. L'énorme clef était difficile a manier entre les doigts d'une petite fille de quatre ans. Je l'ai tournée a droite, puis a gauche, et elle s'est bloquée dans la serrure. En entendant mon cri de panique de |'autre cdété de la porte, Llewellyn m'a dit: "Ecoute, Papa va bientét rentrer a la maison, et alors, gare a toi! Essaie donc de sortirla clef du trou de la serrure et lance-la par la fenétre dans le jardin. Nous viendrons la ramasser et t'ouvrir la porte!" Page 20 Volume 3 - 12% édition Décembre 2000 L'idée de mon pére en colére accrut ma panique. Mes doigts tremblérent et j'admis ma défaite. Je ne pouvais pas déloger la clef, ni méme la retirer de la serrure. Subitement, j'ai compris que moi aussi j'étais prisonniére comme la damoiselle du haut donjon. Par la fenétre j'ai vu les marches en béton qui descendaient a pic vers le jardin. Impossible de m'échapper par la fenétre. Personne ne pourrait venir Aa ma rescousse par ce chemin-la. Mon destin de devoir passer le reste de ma vie ici fit couler mes larmes et je répondis en pleurs a mon frére James qui voulait lui aussi m'encourager a essayer une demiére fois: "Ch'peux pas, ch'peux pas". Il comprit ma grande détresse et me consola de ces mots: "C'est bon, c'est bon, je viens t'aider. Laisse le passage libre devant la fenétre!" Aussitdt dit, aussitét fait; il avait trouvé le moyen de grimper jusqu’a cette fenétre inabordable et de me délivrer de mon destin. Mon pére n'en sut jamais mot. Bien des années plus tard, revisitant notre ancienne maison de la rue du Baty et contemplant I'énorme distance entre le haut mur et la dalle solitaire sous la fenétre de la toilette, je me suis demandée comment il avait réussi ce tour acrobatique digne d'un vrai cambrioleur. Depuis ce jour-la, il va sans dire, mon grand frére James devint mon héros. Au cours des dix années passées en Belgique il a eu maintes occasions de renforcer cette image de héros indomptable. Je réserve ces aventures pour une autre fois. Monique Behrend-Appleton