ROSE REINE par Roger Dufrane | Préparant ma conférence sur la Poésie frang aise pour le 21 juin prochain 4 1’Al- liance Frangaise de Van- couver, je suis amené Aa relire des ouvrages sur la question. Avec quelle auto- rité les théoriciens se contredisent entre eux! Pour les uns, la poésie, c’est la recherche du paradis perdu; pour les autres, le don de communier avec la nature. Elle consiste, pour l’abbé Henri Brémond, en un état mystique; et pour Thierry Maulnier en une alchimie du langage. Laissons ces sour- cilleux botanistes de l’inef- fable, et, en attendant le mo- ment plus sérieux de notre causerie, parlons d’une reine dont ils ont oublié la frafcheur, la Roge. La Rose, reine des fleurs, est devenue ...depuis long- temps un mythe. Les poétes modernes ne l’ignorent pas, de méme que le savaient les trouveurs de jadis:‘‘ Joli tambour, donne-moi donc ta rose’’, demande la princesse penchée A la fenétre de la tour. Rayonnante de lyrisme, la rose, par son seul pas- sage, vers en poéme. Faut-il rap- peler l’alexandrin célébre d’Agrippa d’Aubigné: ‘*Une rose d’automne est plus qu’ une autre exquise’’? On pourrait former une riche anthologie de toutes les oeuvres inspirées par la rose, depuis le ‘*Mignonne, allons voir si la rose...’’ de Pierre de Ronsard jusqu’ 4a la rose des pas perdus de Louis Aragon. On sa? que Guillaume de _ Lorris, ro- mancier du Moyen Age, a composé une ingénieuse al- transfigure un seul légorie sur une rose enclose dans un- jardin. Et son continuateur, Jean de Mehun, n’a-t-il pas enfermé folie et sagesse du treiziéme siécle dans son Roman de la Rose? Les maftres d’oeuvre de ce temps-la ne demeuraient pas. en reste: tout en glorifiant le Christ, la Vierge Marie et les Apdtres, ils faisaient sur le fronton des cathe- drales, tournoyer les Evan- giles dans une immense rose de verre coloré. D’out vient ce prestige de la rose? D’abord de son suave parfum et de sa royale beauté. On s’arréte devant elle et on réve. C’est pour- quoi elle éveille en nous un monde aux multiples sym- boles. En se défeuillant, n’ inspire-t-elle pas 4 la Com- tesse de Noailles le triste sentiment du temps qui passe’ Belle parmi les bel- les, moelleuse et diverse, parfumée, tournante sem- ble-t-il, elle @voque un uni- vers paradisiaque. Non contente de ses allusions 4 la vie, A l’amour, au bon- heur, elle s’arme d’une tige épineuse, nous enseignant, trop tard, A nous défier des masques enjoleurs du destin. Cette femme est belle qui passe. Vous voila 4 ses ge- noux, voyageur inconnu ! Prenez garde! Son coeur ne ressemble pas 4 son visage. Ses joues empourprées dans un doux visage aux grands yeux, sa démarche balancée vous séduisent. Hélas, elle pique; et vous ne le décou- vrirez que trop tard, pour votre peine. ss La rose parle-t-elle en- core A nos Ames modernes ? Bien str! Enfermés toute la semaine avec nos ma- chines, prisonniers de nos autoroutes et captifs de nos slogans, qui nous consolera? ' persanes des jardins de Shé- La rose! Il suifit de sortir au jardin. Le rosier qui grimpe sur la cldture porte une fleur unique. Une goutte de rosée y tremble, ot se mire le paysage. Et dans la prunelle irisée de cette goutte nous lisons du réconfort: tant que fleuriront les roses en bordure de nos ciments, l’amour et le plai~ sir, la joie de vivre, l’ins- piration des poétes, conti- nueront A germer en mille nuances. La rose aconquis l’univers. Elle grimpe aux murs blancs des courtils du Hainaut. Elle orne les parterres de Baga- telle, au Bois de Boulogne. Elle passe les mers et vient; agrémenter de son riant vi- sage les pays trop vertc, l’ Irlande ou le Canada. La rose fleurit en bijou au col des jolies femmes. Elle fleu- rit encore (en suis-je bien str? ) la joue des jeunes filles. Son visage étoilé guide le voyageur qui déplie son atlas: grace 4 la rose des vents, il ne perdra pas le Nord! Roses, roses si belles, que, les chevaliers du Moyen Age tressaient en chapeau pour leur dame, roses plus loin- taines des martyres, roses hérazade, roses-thé, roses pompon, roses de Noel, roses trémiéres, roses des processions et roses des mariages, roses qu’on cueille en se piquant et que l’?on tend au passage 4 une belle inconnue, vos visages innombrables jalonnent les pays et les ages. Grace a vous, le passé et le présent s’animent et viennent embel- lir nos songeries. GALERIE - Une nouvelle galerie s’est ouverte 4 Vancouver. C’est une galerie d’art, mais non pas dans le sens traditionnel. On y trouvera l’art 4 travers laphotographie. Les photographes de renommée internationale ainsi que ceux de la région y seront représentés. La galerie, qui porte le nom de ‘Mind’ Eye’ se trouve au 52 Water Street 4 Gastown. Elle es ouverte de Ill heures A 19 heures 30 du mercredi aul samedi et de 14 heures A 19 heures 30 le dimanche. XII, LE SOLEIL, 19 MAI 1972 Photo de JANO ORBAN.